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Istòria / Histoire


DOCUMENT-Les minorités nationales dans "l'histoire de France"
12 / 01 / 2020 397 lu(s) 
XIe Université d’Eté de R&PS (Régions et Peuples Solidaires)
Université de Mulhouse – Du 27 au 30 août 2006 –


Intervention de Georges Labouysse (Lundi 27 août 2006)

Quelle place pour les minorités nationales dans l’histoire de France ?


Réponse : aucune !!! On pourrait donc s’arrêter là ! Mais voyons rapidement quelle est cette histoire qui est enseignée dans les écoles dites laïques, gratuites et obligatoires de notre république « une et indivisible »… de Dunkerque à Tamanrasset depuis 130 ans. A travers quelques exemples, comparons-la ensuite avec les réalités vécues au cours des siècles par les populations de nos nations. Demandons-nous quelle est l’origine et quelles sont les motivations de cette histoire dite de France. Recherchons quelles en sont les conséquences sur la société d’aujourd’hui. Ouvrons le débat pour dire ce que devrait être l’enseignement de l’histoire pour nos peuples de Corse et de Bretagne, de Catalogne et d’Occitanie, d’Alsace et du Pays Basque, de Savoie… et des DOM-TOM.

Nos ancêtres « gaulois » ?

« Il y a 2000 ans notre pays la France s’appelait la Gaule et ses habitants les Gaulois… Nos ancêtres les Gaulois étaient grands, blonds et avaient les yeux bleus !… »
Chacun de nous apprit par cœur à l’école cette phrase lue dans nos manuels scolaires d’Histoire « de France » initiés par Ernest Lavisse au 19e siècle. Et pour enfoncer dans nos pauvres crânes cette « vérité historique », on nous montrait la carte de l’hexagone où figurait en gros caractères le mot « GAULE » avec son sous-titre : « France » ! Nous avions donc là UNE nation : la Gaule (c’est-à-dire la France !); UNE capitale : Lutèce (Paris) ; UN Chef : Vercingétorix… et UNE langue : le gaulois (devenu le français !)…

Or il se trouve que je suis petit, que j’ai des cheveux bruns et que mes yeux sont noisette ! Suis-je donc Gaulois ? Et par conséquent, suis-je encore ce Français « de pure race » vivant dans un Etat unitaire et démocratique, comme on me l’a inculqué à l’école de la république ?…
La réalité est bien différente. En effet, le mot « Gaulois » fut inventé par les Romains et en particulier Jules César, qui nous dit dans ses mémoires de la « Guerre DES Gaules » (au pluriel !) : « Gallia est omnis diuisa in partes tres », « L’ensemble de la Gaule est divisé en trois parties : l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celte, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine… ». Il faut noter ici que César ne parle pas du territoire qui s’étend de la Garonne aux Alpes (Languedoc et Provence actuels) puisque ces pays étaient romains bien avant sa naissance !

Déjà là le mythe d’une France gauloise a du plomb dans l’aile ! Pour ne parler que des territoires du sud de la Loire, voici quels étaient les peuples que les Romains rencontrèrent lors des conquêtes de ces pays à partir du 2e siècle avant J-C : des Ligures dans l’actuelle Provence ; des Grecs de la Côte d’Azur à la Costa Brava : originaires de Phocée en Turquie ils avaient fondé Marseille en 600 avant J-C, puis Ampuries en Catalogne sud ainsi que de nombreux comptoirs sur toute la côte (Nice, Fréjus, Olbia, Agde…) qui commerçaient avec les peuples de l’intérieur ; des Ibères en Languedoc (oppidum d’Ensérune près de Béziers) ; des Aquitains entre Garonne et Pyrénées qui sont les ancêtres des Basques et des Gascons ; des Volques tectosages à Toulouse et Arécomiques à Nîmes ; et enfin des Celtes entre Garonne et Loire… Six peuples avec des langues totalement différentes : quoi de commun entre l’idiome ionien des Grecs de Marseille (au 1er siècle on parlera grec à Toulouse dont un citoyen fut Premier magistrat d’Athènes!), la langue ibère parlée et écrite à Béziers avec son alphabet de 28 lettres et la langue aquitanique parlée aujourd’hui par le peuple basque ? Oui nous sommes bien les descendants, non pas de Gaulois mythiques sortis des manuels d’histoire de France, mais de tous ces peuples de la Protohistoire qui nous ont fait ce que nous sommes, nous les Occitans, Basques et Catalans.

Mais d’où vient cette légende de « nos ancêtres gaulois » ? Dans le Haut Moyen Age les moines qui écrivirent une « Histoire des Francs » imaginèrent qu’après la destruction de Troie racontée par le grec Homère, l’un des Troyens qui avaient fui la ville était venu fonder un royaume entre Rhin et Danube. Ils l’appelèrent « Francion » ; et son descendant « Pharamon » aurait vaincu les Romains avant de fonder le royaume des Francs. Pharamon fut désigné dans certains manuels comme le premier roi « de France » qui aurait engendré toutes les dynasties françaises ! Mais pour les Révolutionnaires de 1789 et pour la IIIe république qui combattaient les rois et la noblesse, les Français ne pouvaient pas descendre de ces Francs « royalistes », d’où l’idée « géniale » de trouver d’autres ancêtres… et ce furent des Gaulois tout aussi légendaires.

Nos ancêtres les « gallo-romains » et les « franco-gaulois » :

Nous voici à présent dans l’Antiquité romaine, où nos ancêtres « gaulois » deviennent tout naturellement des « gallo-romains » : ils habitent toujours l’hexagone gaulois qui devient logiquement la « Gaule romaine ». Bien sûr tout le monde parle latin et les anciens peuples que nous avons évoqués n’existent plus, puisqu’ils étaient tous gaulois avant J-C… Et pourtant ici aussi la réalité est très différente des affirmations de l’Histoire « de France ». Par exemple, sait-on que durant toute cette période, les Aquitains ont toujours refusé de se soumettre au colonisateur romain et vont lutter pour leur autonomie : déjà César les redoutait et ne mit les pieds en Aquitaine qu’après leur défaite devant son lieutenant Crassus. Plus tard ils refuseront leur intégration aux Celtes du nord, obtiendront en 70 après J-C une circonscription financière propre et enfin au 3e siècle ils arracheront au sénat de Rome leur autonomie au sein d’une nouvelle Aquitaine qui s’appellera la Novempopulanie ou Pays des Neufs Peuples avec Eauze pour capitale.

Au siècle suivant, l’administration de l’empire romain qui s’étend de la Mer Noire à l’Atlantique est décentralisée en quatre préfectures dont la Préfecture d’Arles (que l’on dit aussi Préfecture « des Gaules ») ; or celle-ci est subdivisée en 4 diocèses civils : diocèse des Bretagnes (actuelle Angleterre), diocèse des Gaules (de l’embouchure du Rhin à la Loire), diocèse de Viennoise (de la Loire aux Pyrénées), diocèse des Espagnes (des Pyrénées au Maroc actuel !). Autrement dit, la Gaule de l’empire romain va de l’Angleterre au Maroc : nous sommes loin de la France gauloise ou de la Gaule romaine chère à nos manuels d’Histoire de France. Et ce qui est intéressant dans ce découpage administratif romain, c’est de voir que le diocèse de Viennoise (appelé aussi des « Sept Provinces : 2 Aquitaines, Novempopulanie, 2 Narbonnaises, Viennoise et Alpes-Maritimes) recouvre approximativement le futur domaine de la langue occitane !

Et voici qu’à présent les manuels scolaires vont nous donner une vision terrifiante de prétendues « grandes invasions barbares ». Mais un de ces peuples sera glorifié : les Francs et leur chef Clovis qui sera qualifié même de premier « roi de France »… alors que la France n’existait pas bien sûr au 5e siècle. On va occulter lamentablement l’existence du plus vaste Etat d’Occident à cette époque : le royaume Wisigoth, premier royaume d’Aquitaine, qui s’étendra à son apogée de la Loire à Gibraltar avec Toulouse pour capitale, puis Tolède plus tard. Les Wisigoths, un peuple peu nombreux qui réussira une synthèse harmonieuse entre les apports germaniques et les acquis de Rome, un peuple qui préfigurera l’émergence de la future civilisation occitano-catalane du Moyen-Age.
Il faut rappeler que 2006 marque le 1500e anniversaire du « Bréviaire d’Alaric », un code de lois promulgué le 2 février 506 à Aire-sur-l’Adour qui fut une des principales résidences des rois de Toulouse. Ce Code, simplifié et mis à jour par les rois wisigoths, rassemble l’essentiel du droit romain et des lois gothiques : il servira de base au droit en Occitanie jusqu’à la Révolution, en Catalogne et dans la plupart des futurs Etats occidentaux…

Mais de tout cela, rien dans nos manuels scolaires, rien non plus aujourd’hui au niveau de l’Etat français ou des medias, à l’exception de « La Dépêche » de Toulouse et du journal « Sud-Ouest » qui ont passé à ma demande une demi-page sur cet événement en février dernier. Et pourtant rappelons-nous avec quel tintamarre la France laïque fit venir en 1996 le pape Jean-Paul II pour célébrer le 1500e anniversaire du prétendu baptême du « loubard belge » Clovis, baptême qui aurait été celui « de la France » !!! On sait bien pourtant que les réalités politiques et territoriales du 5e siècle ne pouvaient prédestiner la France d’aujourd’hui.

Après Clovis, ses fils se partagèrent les territoires qu’il avait conquis à coups de francisques et par des crimes abominables jusque dans sa propre famille. Les territoires de l’époque mérovingienne avaient pour noms : Neustrie, Austrasie, Burgondie, Aquitaine, Provence. Quant au royaume wisigoth dont la capitale s’était déplacée à Tolède, il s’étendait alors du Rhône à Gibraltar : Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Perpignan n’ont jamais été mérovingiennes… ni carolingiennes d’ailleurs, et les Pyrénées n’ont jamais été une frontière avant Louis XIV ! Le français n’existait pas non plus évidemment et l’on parlait des langues différentes dans tous ces espaces européens

Encore une fois les manuels d’ « Histoire de France » font totalement l’impasse sur ces réalités puisque pour les fabricants de programmes scolaires aux ordres de l’Etat jacobin, la France « fille aînée de l’Eglise » a toujours existé et elle existera toujours. Comme Dieu le Père, elle n’a pas de commencement et elle n’aura pas de fin ! Et à partir de là, on va justifier toutes les atteintes aux « droits de l’homme » par la glorification de héros mythiques intouchables que chacun est condamné à vénérer ! Ainsi la France personnifiée « c’est une religion », selon le mot de Jules Michelet, grand prêtre de ce nouveau culte au 19e siècle! Et comme dans toute religion il faut trouver des dieux fondateurs, eh bien l’Etat-Nation va naturaliser français les germains Clovis, Charlemagne et son grand-père « Karl lo Martel »…
Le premier, nous l’avons vu, fut roi des Francs Saliens en Belgique avant de s’emparer d’autres territoires : romains, aquitains, allemands ; le second fut empereur germanique, il établit sa capitale à Aix-la-Chapelle, essuya une défaite historique au Col de Roncevaux dans les Pyrénées où son arrière-garde fut décimée par des Basques insurgés et il dut reconnaître, lui aussi, l’autonomie de l’indomptable Aquitaine. Quant au troisième , il passe aux yeux des Français du 21e siècle pour le héros qui « a sauvé la France de l’invasion arabe » : on voit tout le profit que certains peuvent tirer d’un pareil slogan aujourd’hui !

Quelques siècles plus tard ce furent les Croisades avec leur cortège de massacres épouvantables sur des populations entières : massacre de Chrétiens d’Orient et conquête de l’empire byzantin, massacre des Juifs et des Musulmans de Palestine… Mais aussi massacre des Chrétiens cathares d’Occitanie et destruction totale de la civilisation occitane, une des civilisations les plus brillantes d’Europe. L’esprit des croisades aboutit en effet en Occident à l’instauration de l’Inquisition, ancêtre de la Gestapo, qui extermina tous ceux qui contestaient les dogmes de l’église institutionnelle et s’opposaient au nouvel ordre établi par Paris, après l’invasion des pays occitans par les armées de l’Ile de France au XIIIe siècle.

A cette occasion, on ne peut passer sous silence les crimes contre l’Humanité commis par des personnages vénérés dans les manuels scolaires comme Louis IX dit « Saint-Louis », pourfendeur de Cathares et de nombreux Occitans (Voir le bûcher de Montségur) , mais aussi massacreur des Juifs de Toulouse et du Languedoc auxquels il fit porter la célèbre rouelle de drap jaune cousue sur leurs vêtements ! « Quand on entend médire de la foi chrétienne, il ne faut la défendre qu’avec l’épée, dont on doit donner dans le ventre autant qu’elle peut entrer », disait le « saint » roi à son compagnon Joinville. Ainsi fut anéanti un espace culturel original ouvert aux influences d’Orient (Judaïsme, Christianisme, et Islam) et aux échanges économiques avec l’Italie et la Méditerranée, en plein épanouissement de l’art roman et de la langue d’Oc des Troubadours, en plein développement des Républiques urbaines et des libertés communales, comme cette République de Toulouse instaurée en janvier 1189 après une courte Révolution, juste 600 ans avant la Révolution française de 1789.
Et voici comment Michelet (à qui nous devons l’ « Histoire de France » officielle, mythique et raciste) dénigre les Occitans à propos de la guerre de conquête dite « des albigeois » : « Les croisades eurent aussi pour effet de révéler à l’Europe du Nord, celle du Midi. La dernière se présenta sous l’aspect le plus choquant : esprit mercantile plus que chevaleresque, dédaigneuse opulence, élégance et légèreté moqueuse, danses et costumes mauresques, figures sarrasines. Les aliments même étaient un sujet d’éloignement entre les deux races ; les mangeurs d’ail, d’huile et de figues rappelaient aux croisés l’impureté du sang mauresque et juif…, et le Languedoc leur semblait une autre Judée »… Sans commentaire !

Une France totalitaire

Après la conquête du Comté de Toulouse, la Francie va tenter de coloniser les consciences et de franciser les pays soumis en développant une administration royale de type colonial qui sera très efficace.

Avec la monarchie absolue "de droit divin", on assista à une chasse aux hérétiques dont les protestants feront les frais. Si Henri IV, le roi gascon, a tenté d'établir une liberté de conscience dans ses États en 1598, ce ne fut qu'un court répit. Avec Richelieu, Anne d'Autriche et Mazarin on considèrera le non-catholique comme un "ennemi de l'intérieur".
Contre les Huguenots ce seront des menaces et des violences permanentes, comme le chantage à l'enlèvement des enfants, et on les obligera à se convertir au catholicisme ou à fuir. Au nom d'une idéologie totalitaire d'un État monolithique  ("une Foi, une Loi, un Roi "!), Louis XIV finira par révoquer l'Édit de Nantes promulgué par son grand-père. L'historienne Janine Garisson écrit : "La révocation de l'Édit de Nantes se présente bien clairement comme une décision politique, relevant de ce que l'on appelle de nos jours le totalitarisme".
Nombreux furent alors ceux qui quittèrent nos régions pour la Suisse, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Afrique du Sud ou l'Amérique, notamment des Huguenots de Montauban et de Nîmes, ce qui entraîna un fort malaise économique en Languedoc. Pour ceux qui restèrent, ce fut la nuit inquisitoriale et la suspicion permanente comme au Moyen Age.

Lors de la Guerre des Camisards, pour briser l'obstination des Cévenols, Louis XIV décida en août 1703 d'utiliser des méthodes nouvelles qui seront imitées au XXe siècle par d'autres dictateurs (tel Pol Pot au Cambodge): pour rayer de la carte cette région occitane, les familles seront séparées (vieillards entassés dans les casernes de Béziers et de Mende ; adolescents et hommes mariés enrégimentés à Lunel, Nîmes et Montpellier ; filles et femmes mariées internées dans les manufactures de Lodève et de Carcassonne ; enfants plus jeunes placés dans les hôpitaux de Toulouse, Lyon et Montpellier). Puis les villages seront détruits, forêts et récoltes brûlées. Les habitants restés sur place malgré l'ordre de déportation, seront massacrés. Tout un pays rasé et désertifié !

Quelque soixante ans plus tard, ce fut le supplice du Protestant Jean Calas à Toulouse, accusé à tort d"un crime qu'il n'avait pas commis, comme Dreyfus plus d'un siècle après. Exécuté en 1762, Calas fut réhabilité après une campagne célèbre de Voltaire à travers toute l'Europe.

La "paix française" c'est aussi la centralisation administrative sur Paris et l'ordonnance de Villers-Cotterets signée en 1539 par François 1er qui fait du "langage maternel français " la seule langue obligatoire dans tous les actes judiciaires (une disposition reprise 450 ans plus tard par le ministre de la culture Toubon et inscrite dans la constitution de la Ve République pour mieux "escaner" les langues de France : c’est le fameux « article 2 » !). Le totalitarisme de François 1er sera d'ailleurs raillé par Maximilien d'Autriche qui constate que le Roi de France est un roi des bêtes, "car, dit-il, en quelque chose qu’il commande, il est obéi aussitôt comme l'homme l'est des bêtes".

Il faut dire qu'en 1490 Maximilien avait épousé par procuration Anne de Bretagne. Mais Charles VII de France conduisit une expédition militaire pour faire rompre ce mariage : il épousera alors la duchesse de Bretagne en 1491 qui, devenue veuve, devra ensuite se remarier avec Louis XII. Leur fille sera plus tard la femme de François 1er. L'impérialisme français causera l'annexion de la Bretagne en 1532. Il en sera de même pour la Provence en 1547.

Quant à la Corse du XVIIIe siècle, qui venait d'établir une république indépendante sous l'égide de Pascal Paoli, avec un service militaire pour tous, un enseignement primaire obligatoire et une université à Corti, une constitution qui fit l'admiration des esprits éclairés d'Europe et qui servit de modèle à la Constitution des Etats-Unis d'Amérique (!), elle fut achetée en 1768 par Louis XV à la République de Gènes, comme on achète une caisse de mandarines !

Plus tard encore, en 1860 le "Peuple Souverain de Savoie" sera purement et simplement annexé par l'État français. Et pour légitimer cet acte qu'on qualifierait aujourd'hui de grand banditisme ou de terrorisme, Napoléon III organisera un de ces referendum-plébiscite dont il a le secret : pas de bulletin "non"; pas d'isoloir ; abstention interdite ; vote sous surveillance des curés et des gendarmes… Résultat : un "oui franc et massif " de 99% qui met fin à l'autonomie dont bénéficiait auparavant les Savoisiens au sein de la Confédération helvétique. Rappelons qu’ aujourd'hui la Savoie n'est même pas une région !

Remontons le temps jusqu'à la Révolution bourgeoise de 1789. Au début des événements, l'influence du siècle des Lumières, de l'expérience républicaine du Corse Pascal Paoli et des Constitutions anglo-américaines fera germer les idées de liberté, d'égalité et de fraternité (formule héritée des Républiques d'Occitanie au Moyen Age: libertat, paratge, Amor) qui se concrétiseront dans la "Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen" le 26 août 1789.




Mais en même temps, la Révolution construira un État-Nation au service de la bourgeoisie parisienne et créera aussi le mythe d'une nation éternelle une et indivisible : ce sera le découpage de l'État en départements qui sont pour la plupart sans lien avec le contexte géographique et historique. Le despotisme de Napoléon consolidera le tout par une ultra-centralisation administrative (fait unique en Europe!) et la création des préfets aux ordres directs du gouvernement.

Bref, un centralisme autoritaire qui assassine la démocratie et dont la France frileuse du XXIe siècle naissant a du mal à se débarrasser, les yeux encore fixés sur "la ligne bleue des Vosges" depuis 1871!… malgré la construction de l'Europe en cours qui est composée d' États fédéraux pour la plupart.

La république coloniale dite « des Jules »

Mais comment en est-on arrivé là ? Pour répondre à cette question, il faut remonter le cours de l'Histoire jusqu'au début de la IIIe république.

Après la défaite de l'armée française devant les Prussiens durant la guerre de 1870, l'Etat français voit l'Alsace et la Lorraine rattachées à l'empire allemand qui vient d'être proclamé dans la galerie des glaces à Versailles.
Après le soulèvement populaire des communes de Narbonne, Béziers, Marseille, Toulouse … le nouveau gouvernement présidé par le Marseillais Adolphe Thiers va écraser dans le sang la Commune de Paris en 1871 : c'est le triomphe de la bourgeoisie.
Après l'avortement d'un rétablissement monarchique en faveur d'Henri V comte de Chambord sous l'égide de Mac Mahon, c'est une IIIe République qui va s'affirmer au fil des ans. Le 30 janvier 1879, Jules Grévy est élu Président de la République. Dans ce cadre, un nationalisme à visages multiples verra progressivement le jour.

Les valeurs militaires sont exaltées. Les associations patriotiques se multiplient et placent tous leurs espoirs dans l'armée. Le 14 février 1879 le « Chant de guerre de l’armée du Rhin » avec ses paroles sanguinaires devient l’hymne national sous le nom de « Marseillaise » pour « qu’un sang impur abreuve nos sillons » ! Les Républicains qui triomphent dans les élections se lancent alors avec un autre Jules : Ferry, dans les conquêtes coloniales : au nom de la "supériorité de la race blanche", on va répandre "les lumières du progrès et de la liberté contre l'ignorance et la barbarie" en Afrique et en Asie ; on va  bâtir une France grande et puissante au-delà des mers, car, ajoute Jules Ferry le 28 juillet 1885 dans un débat parlementaire, « une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement ! … Et puis la France ne peut pas être seulement un pays libre ; elle doit aussi être un grand pays, exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. »

D'autres au contraire, comme Georges Clemenceau, préfèrent un nationalisme de repli continental : "Mon patriotisme est en France tourné vers la ligne bleue des Vosges !"…

Après 1886, le mouvement boulangiste débouche sur un nationalisme revanchard et traditionaliste avec Déroulède, Drumont, Barrès et Maurras. Ordre et autorité sont les deux mamelles d'un nationalisme conservateur qui traduit la frilosité d'un mouvement de défense contre les supposées menaces extérieures, contre ce que Maurras appelle "l'anti-France", c'est -à -dire les apatrides, les juifs, les francs-maçons… le commerce des produits étrangers!

Barrès se désole : "Je sens diminuer, disparaître la nationalité française, c'est-à-dire la substance qui nous soutient et sans laquelle je m'évanouirais."

Qu'il soit de gauche ou de droite, le nationalisme de cette fin du XIXe siècle place dans l'armée tous ses espoirs d'un moule uniforme pour une patrie française une et indivisible… et tous chantent avec Déroulède :
"L'armée est la grande patronne
qui nous baptise tous Français"

Dans ce même esprit, Jules Ferry, ministre de l'Instruction Publique et des Colonies, bâtit une école publique et obligatoire réclamée par la société industrielle, pour tous les petits Français que l'on ne peut imaginer autrement qu'avec de "chères petites têtes blondes aux yeux bleus de France" comme leurs "ancêtres gaulois" inventés pour la circonstance.
En 1880 le recteur de l'académie de Rennes écrivait qu'il était urgent de franciser une "Bretagne qui n'a pas été volontairement rattachée à la France". Alors la première recommandation qui fut faite aux instituteurs, ce fut de livrer une guerre impitoyable aux langues historiques parlées (et appelées "patois" par Paris) au profit d'une seule: le patois francien du Bassin parisien plus connu aujourd’hui sous le nom de "français" ! "Nous qui parlons notre langue, tandis que tant de nos compatriotes ne font que la balbutier", soupirait le Cadurcien Gambetta dès 1871. Il suivait en cela la politique des pourfendeurs de prétendus "patois de France" sous la révolution, tels l'abbé Grégoire et Barère de Vieuzac.

Rares sont les hommes politiques qui osent dire comme Jaurès dans la "Revue de l'Enseignement primaire" du 15 octobre 1911 :
"J'ai été frappé de voir, au cours de mon voyage à travers les pays latins, que, en combinant le français et le languedocien et par une certaine habitude des analogies, je comprenais en très peu de jours le portugais et l'espagnol (…). Dans les rues de Lisbonne, en entendant causer les passants, en lisant les enseignes, il me semblait être à Albi ou à Toulouse.
Si, par comparaison du français et du languedocien, ou du provençal, les enfants du peuple dans tout le Midi de la France, apprenaient à retrouver le même mot sous deux formes un peu différentes, ils auraient bientôt en main la clef qui leur ouvrirait, sans grands efforts, l'italien, l'espagnol, le portugais (…). Pour l'expansion économique comme pour l'agrandissement intellectuel de la France du Midi, il y a là un problème de la plus haute importance, et sur lequel je me permets d'appeler l'attention des instituteurs."



Cette génération apprit donc à écrire en français… mais continua à parler occitan, basque ou catalan, corse ou breton… Personnellement, je n'ai jamais entendu mes grands-parents parler une autre langue que l'occitan entre eux et avec les personnes de leur génération… Ce qui ne les empêchait pas (au contraire !) d'écrire un français très correct et sans faute d'orthographe ! Il faut dire que bien des instituteurs de  nos régions passaient outre les consignes ministérielles et avaient compris, comme le recommandait Jean Jaurès, que le vrai bilinguisme était "un problème de la plus haute importance".

Mais les historiens officiels écrivent des manuels scolaires qui font l'unanimité à droite comme à gauche de l'échiquier politique. Ernest Lavisse imagine une "Histoire de France" mythique et consensuelle avec les mêmes dates, les mêmes évènements, les mêmes noms de héros idéalisés pour tous.

Michelet renchérit avec "les saintes baïonnettes de France" du chevalier Bayard aux soldats de l'an II. Dans "Le peuple", il décrit ainsi les devoirs d'un père envers son fils, pour une France qui ne peut-être que "celle du Nord" : "Il le mène de Notre Dame au Louvre, aux Tuileries, à l'Arc de Triomphe. D'un toit, d'une terrasse, il lui montre le peuple, l'armée qui passe, les baïonnettes frémissantes, le drapeau tricolore… Tiens, mon enfant, regarde, voilà la France, voilà la patrie !"

A cette même époque, la France comme les autres États d' Europe développe son impérialisme, crée des colonies et participe au pillage de l'Afrique et de l'Asie. Des heurts de plus en plus violents se produisent entre ces principales puissances économiques qui ont des colonies très étendues, pour réaliser de bons bénéfices et écouler des excédents de production… et celles qui en ont moins.
Un choc violent est en vue. Et des hommes politiques clairvoyants comme Jean Jaurès essaient d'éviter une explosion de l'Europe. C'est compter sans le déchaînement nationaliste de la presse. Qu'on en juge !

Le 3 février 1913, Charles Péguy écrit : "Je demande pardon aux lecteurs de prononcer ici le nom de Jaurès. C'est un nom qui est devenu si bassement ordurier… ce gros bourgeois parvenu, ventru, aux bras de poussah… Ce malhonnête homme. Un pleutre, un fourbe parmi les fourbes. Un grossier maquignon du Midi.(…) Une de nos hontes nationales…Un agent du parti allemand… Un ennemi de l'intérieur…"

Dans l' Action Française du 21 avril 1913, Léon Daudet traite  Jaurès de "Symbole ignoble, tonitruant et véreux de parlementaire expirant… Du point de vue national, ce militant du Gaillacois mériterait un châtiment exemplaire dans tout État organisé".

Dans le même journal du 15 mai suivant, Charles Maurras ajoute : "Il serait bon de ne pas perdre ce traître de vue". Maurice de Waleffe écrit le 17 juillet 1914 dans "Paris-Midi" : "A la veille de la guerre, le général qui commanderait à quatre hommes et un caporal de coller au mur le citoyen Jaurès et de lui administrer à bout portant le plomb qui lui manque dans la cervelle, pensez-vous que ce général ne ferait pas son plus élémentaire devoir ? Si, et je l'y aiderai".

Enfin dans l'Action Française du 23 juillet 1914, on peut lire : " Nous ne voudrions déterminer personne à l'assassinat politique. Mais que Monsieur Jaurès soit pris de tremblement…". Le 31 juillet 1914 à 21h 40, Jaurès est assassiné à Paris au "Café du Croissant" rue Montmartre.

Le lendemain, la France mobilise. Le surlendemain éclate le plus grand conflit fratricide d'Europe qui va embraser le  monde entier. Or l'assassin de Jaurès, Raoul Villain, un jeune catholique nationaliste de 28 ans, passera la guerre à l'abri d'une prison de la république et ne sera jugé qu'en 1919 : il sera acquitté… et c'est la veuve du tribun tarnais qui sera condamnée "aux dépens" … au nom du peuple français !!!

Il faut dire ici que les esprits ont été bien préparés à cette "Grande Guerre" par l'école. J'ai retrouvé dans ma maison familiale des cahiers d'écoliers des années 1910 bien écrits à l'encre violette. Tous les résumés d’Histoire y sont une exaltation des gloires militaires de la France. Quant aux cahiers de poésie, ils reflètent la même idéologie. En voici deux extraits sur un cahier du Cours Moyen en 1911 :

D'Erckman-Chatrian :
"Dis-moi quel est ton pays
Est-ce la France ou l'Allemagne ?
C'est un pays de plaine et de montagne
Que les vieux Gaulois ont conquis
Deux mille ans avant Charlemagne
Et que l'étranger nous a pris ! […]"
de Déroulède :
Hymne Français

France, veux-tu mon sang ? Il est à toi ma France
S'il te faut ma souffrance
Souffrir sera ma loi.
S'il te faut ma mort, mort à moi
Et vive toi
Ma France […]

Cependant tous les citoyens de notre pays ne se laissent pas abuser par cette propagande nationaliste franchouillarde. Louis Barthas, tonnelier du Narbonnais a participé au soulèvement viticole du Languedoc en 1907 et il a vécu toute la guerre de 14-18 sur le Front. Dans les tranchées, il prend des notes sur tout ce qu'il voit, entend, ressent. Après la guerre, il les consigne sur plusieurs cahiers d'écolier qui sont publiés en 1978.

Voici comment il décrit le premier jour de mobilisation :" Une cohue de soldats emplissait Narbonne habillés moitié en civil, moitié en militaire, on ne savait plus où caser tout ce peuple accourant avec une exactitude qui déconcertait les autorités militaires elles-mêmes, s'attendant à compter les réfractaires, les déserteurs par centaines. Mais docilement tous s'empressent de venir enchaîner leur liberté, se courber sous le joug militariste".

Et voilà sa conclusion sur la plus grande tuerie de l'Histoire : " Pour maintenir le moral  au cours de cette guerre, pour la justifier, on a menti cyniquement en disant qu'on luttait uniquement pour le triomphe du Droit et de la Justice, qu'on n'était guidé par aucune ambition, aucune convoitise coloniale ou intérêts financiers et commerciaux.
On a menti en nous disant qu'il fallait aller jusqu'au bout pour que ce soit la dernière  des guerres.


En 1919 des pourparlers très difficiles s'engagent pour établir un traité de paix entre les puissances alliées sous l'égide de la France, et les puissances vaincues dont l'Allemagne qui vient de se débarrasser à son tour de l'Empire pour une République.

C'est l'occasion de rétablir des relations nouvelles amicales et équitables entre les pays et les peuples d'Europe. Mais c'est oublier bien vite l'orgueil du "coq gaulois" et l'intransigeance de Clemenceau, véritable artisan du traité de Versailles en tant que chef du gouvernement, et premier responsable des évènements douloureux qui suivront au cours du XXe siècle.
Le 12 avril 1919, le "Tigre" se félicite de ses propres exigences : "Les questions définitives de réparation, de restitution, de garanties pour la France, sont réglées de façon à réjouir le cœur de tous les Français".
Ce n'est pas l'avis d'Anatole France qui, plus lucide, écrit en 1920 :" La plus horrible des guerres a été suivie d'un traité qui ne fut pas un traité de paix, mais la prolongation de la guerre. L'Europe en périra si, enfin, la raison n'entre pas dans ses conseils".

En effet, certains articles du Traité de Versailles, surtout l'article 231, véritable diktat de Clemenceau, rendent impossible une réconciliation franco-allemande, qui serait indispensable pour assurer la stabilité de l'Europe. C'est alors la consternation chez les démocrates de la jeune république d'Outre-Rhin. Anatole France a vu juste. Dès lors les événements s'enchaînent très vite, surtout sous les effets de la crise économique de 1929 qui vient accroître en Allemagne les rigueurs du traité de Versailles : les chômeurs et tous les laissés-pour-compte vont se jeter dans les bras d'un "sauveur suprême"… et le nazisme accèdera légalement au pouvoir. On connaît la suite !


On ne peut pas parler de la guerre de 14 et de ses conséquences sans évoquer, même rapidement, l’Alsace. Le 2 mars 1918 (donc 8 mois avant l’armistice), une instruction ministérielle émanant de Clémenceau institue pour l’Alsace-Lorraine des commissions de triage pour une épuration ethnique à la française qui fonctionneront dès le 28 novembre 1918, quelques jours après la signature de l’armistice.

On verra par exemple s’instaurer une véritable ségrégation : tous les Alsaciens sont classés suivant des critères de pureté raciale et recevront des cartes d’identité différentes, classées de A à D, en fonction de leurs origines ! Parallèlement 1500 nouveaux instituteurs arrivent de l’intérieur de la France pour remplacer les instituteurs alsaciens.
Le nouveau recteur Sébastien Charléty, en poste de 1919 à 1927, est un authentique colonisateur culturel, et le Figaro du 12 février 1927 rapporte ce qu’il dit aux instituteurs : « Il s’agit d’éliminer toute possibilité de penser dans la langue maternelle, en lui substituant la trilogie : savoir le français, parler le français et penser en français… On n’élève pas un peuple en lui cédant… ». Je crois que cette opinion résume bien l’idéologie de la politique scolaire qui se poursuit en France depuis 130 ans.

En ce qui concerne la lutte des Alsaciens pour leur autonomie, il faut savoir que le 31 mai 1911 l’empereur d’Allemagne promulguait une loi instituant un nouveau statut pour l’Alsace, une constitution qui accordait le pouvoir législatif à un parlement alsacien-lorrain et qui jetait les bases d’un embryon d’Etat alsacien. Cette constitution précisait que dans les régions germanophones la langue allemande était imposée dans l’administration et dans l’enseignement et que le français demeurait imposé dans les régions francophones ; les écoles fréquentées par plus de 20% de francophones étaient bilingues. Ce souci du respect des identités linguistiques est à souligner face à l’intolérance de la France où le français reste aujourd’hui plus que jamais « la seule langue autorisée dans la république ».
En octobre 1918 l’Allemagne concède à l’Alsace le statut d’Etat fédéré. Mais il est trop tard : l’issue de la guerre en décidera autrement ; la politique d’assimilation forcée de la France jacobine ne pouvait tolérer cet état de fait et mettra une fin brutale au rêve alsacien.

Enfin il faut dire que si les femmes allemandes avaient le droit de vote sous la république de Weimar, les Alsaciennes, elles, en furent privées en devenant françaises en 1918. Rappelons à ce sujet que la Révolution française de 1789 réserva le droit de vote à certains hommes seulement et que de ce fait les femmes d’Occitanie qui, dans les vallées pyrénéennes par exemple, pouvaient hériter à égalité avec les hommes, votaient et étaient éligibles comme « Chef de communauté », virent tous ces acquis supprimés au « pays des droits de l’homme » jacobin… et elles devront attendre 1945 pour les récupérer comme leurs consœurs alsaciennes  !

L’école française et ses manuels d’histoire continuent d’occulter ces réalités. Qui a entendu parler à l’école de l’occitane Olympe de Gouges originaire de Montauban ? « Montée à Paris » juste avant la Révolution, elle fut pourtant la première à défendre les droits des femmes en rédigeant la fameuse « Déclaration des droits de la Femme » dont un article affirme : « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle a donc le droit de monter à la tribune » ! Mais Olympe de Gouges, forte personnalité républicaine engagée pour l’abolition de l’esclavage et la défense de toutes les minorités (ce qui ne réjouissait pas la bourgeoisie esclavagiste au pouvoir !), militante de la diversité culturelle et pour une république fédérative, finit par succomber sous le couperet de l’intégrisme centralisateur de Robespierre qui ne supportait plus ses discours enflammés et ses affiches iconoclastes sur les murs de Paris : il la fit « raccourcir »… avant de monter lui-même sur l’échafaud quelques mois après !





Enseignement de l’Histoire de France: des conséquences désastreuses



Ainsi donc depuis plus d’un siècle, l'école et les gouvernements successifs ont chloroformé les Français. L’«Histoire de France» ne raconte pas l’histoire des Français mais seulement celle d’un personnage intemporel nommé « France » qui aurait enfanté, avec l’aide du Saint-Esprit, de supposés descendants de Gaulois et de Francs mythiques. Les «autres»: Occitans, Basques et Catalans, Bretons, Corses et Savoisiens, Alsaciens, Antillais et Calédoniens… n’existent pas; ou bien ce sont l’ennemi, l’étranger: les Arabes de Charles Martel, les Saxons de Charlemagne, les Turcs et les Cathares des Croisades, les Anglais et les Bourguignons de la Guerre de Cent Ans, les Espagnols, les Allemands…

On ignore l'histoire des nations avant leur conquête par la France des Capétiens, des empires et des républiques. On oublie toutes les résistances aux annexions, à la colonisation. On déforme toutes les tentatives d'autonomies politiques, culturelles ou linguistiques.

On gomme toutes les répressions, les tortures infligées par tous les régimes au cours des guerres européennes et coloniales : extermination des cathares et destruction de la civilisation occitane, invasion du Béarn et du Roussillon, charcutage du Pays Basque, conquête militaire de la Corse, traite des noirs, conquête de l'Algérie…

On minimise sous le couvert du sacro-saint secret d'État les crimes contre les droits de l'Homme : écrits racistes dans la littérature française du XIXe siècle envers les peuples d'Occitanie ; antisémitisme et xénophobie lors de l'affaire Dreyfus ; désinformation sur les Communes de 1871, sur les "boucheries" du général Nivelle et sur les mutineries réprimées durant la "Grande Guerre" ; secret encore gardé sur les répressions à Madagascar, durant la guerre d'Algérie, en Nouvelle-Calédonie contre les Kanaks…

On veut ignorer les responsabilités de l'État français dans le démembrement de l'empire ottoman lors du traité de Versailles en 1919 : on créa en effet là-bas des États-nations-unitaires à l'image de la France (Irak, Iran, Syrie, Turquie, etc…) sans se préoccuper des peuples qui, comme les Basques et les Catalans au XVIIe siècle, furent découpés en tranches de saucisson et répartis indifféremment entre des États artificiels.

C'est tout à fait flagrant pour les Kurdes auxquels on refusa la création d'un Kurdistan et qu'on dissémina sur quatre États ! Traitement semblable pour les Arméniens et plus tard pour les Palestiniens. Le traité de Versailles est bien le pêché originel de la guerre de 1939 et de nombreux problèmes actuels. Ce n'est pas pour rien si Aristide Briand lui-même refusa alors d'assister à la signature du Traité de Versailles, mêlant sa voix à tous ceux qui en France traitaient leurs auteurs de "Club des charcutiers"…




Cette politique scolaire de l’Etat jacobin a causé des dégâts considérables dans la société française. C’est le développement d’un nationalisme franchouillard et guerrier que l’on a vu se concrétiser dans l’affaire Dreyfus, dans le régime de Vichy et la collaboration, dans la guerre d’Algérie… Ce sont les réticences de la France face à la construction européenne. C’est le refus de la diversité culturelle à l’intérieur de l’Etat français, diversité que l’on veut pourtant imposer à l’extérieur… au nom de la langue française ! C’est tout le mythe franco-gaulois centralisateur de la Tour Eiffel enfoncé dans les cervelles hexagonales des politiques, des syndicalistes, des enseignants, des journalistes, des historiens et même des archéologues français !… autant de braves gens qui ne peuvent pas concevoir la diversité dans une France fédérale et une autonomie régionale dans un cadre européen.



Pour une Histoire de « l’aventure humaine »

Alors il est urgent de renverser la Tour Eiffel et l’Histoire de France faite par Paris et pour Paris! Il nous faut des repères objectifs pour embrasser toute l’histoire de l’Humanité et y inscrire la nôtre. Dans le passé nous devons capter ce qui a fait ce que nous sommes, rechercher les causes du présent, découvrir par les fouilles archéologiques la multiplicité de nos racines. L’école a un rôle considérable à jouer et les professeurs des écoles doivent rejeter les manuels scolaires jacobins pour construire avec leurs « élèves-citoyens-en-herbe » une histoire de « l’aventure humaine » où chacun de nous trouverait son destin particulier.

On ne peut plus ignorer que la France est constituée de peuples et de cultures d'origines différentes. Nous sommes tous des descendants, non pas de Gaulois mythiques, mais de Ligures, d'Ibères, d'Aquitains, de Grecs, de Celtes, tous peuples de la protohistoire, et aussi bien sûr de Romains et de Wisigoths, de Juifs, d'Arabes et de Berbères… sans compter tous les peuples du Paléolithique et du Néolithique qui ont vécu dans nos régions au commencement de l'Humanité.

Nous sommes bien des enfants d'émigrés appelés à vivre non pas dans des États-nations dépassés, mais dans une Europe des Peuples et des Régions historiques, qui ne pourra pas faire l'impasse des solidarités et de la subsidiarité.

Georges LABOUYSSE



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