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Politique culturelle. Nas Jezik/ Lenga Nòstra. V. Tancarel
24 / 06 / 2017 396 lu(s) 
POLITICA CULTURALA

     NAS JEZIK - LENGA NÒSTRA

Des intellectuels croates, bosniaques et serbes témoignent à Sarajevo de la réalité de leur langue commune.
   La « langue serbe », dans ses expressions dialectales, n’est pas plus unique que ne l’est le provençal face à ses autres expressions occitanes. Le parallèle est assez tentant de faire en effet un isolat linguistique au nom d’une hypothétique « identité nationale ». Ici et là, la langue subit la pression des idéologies nationalistes qui s’expriment consciemment ou non sur des territoires différents. Toutes proportions gardées, on ne peut s’empêcher de penser aux intégristes provençaux qui renient la vision pan-occitane de F. Mistral et s’inscrivent ainsi dans cette logique. Heureusement que le conflit reste verbal…

Manifeste                                            
   Un manifeste écrit à l’initiative d’intellectuels serbes, croates, bosniaques, monténégrins vient de recueillir plus de 8000 signatures ; ce qui n’est pas mince dans des territoires sortis il y a peu de la guerre la plus féroce connue en Europe (depuis le dernier) et qui a vu des nationalismes des plus génocidaires exécuter des centaines de milliers de personnes au nom de la « vraie » religion et de la « vraie » langue. La pratique du manifeste a ici un autre poids que la routine pétitionnaire que nous rencontrons sur internet. De Zagreb à Belgrade, de Podgorica à Sarajevo, 15 millions de locuteurs pratiquent une langue normatisée aux XIXe et XXe siècles, nommée « serbo-croate », qui a pour distinction principale la transcription en alphabets cyrillique ou latin. C’est toujours en « BCS » - bosnien-croato-serbe-  qu’elle se pratique au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye, ou en « BCMS », M pour monténégrin. Ce différentialisme avant tout alphabétique aboutit à la séparation des enfants dans les écoles à partir de leurs origines. Le manifeste de Sarajevo refuse ce distingo qui favorise et renforce l’artificialisation ethniciste. Les Bosniaques communiquent ainsi en trois versions, sous prétexte que les  Monténégrins, indépendants de la Serbie depuis 2006, ont ajouté deux lettres à leur alphabet… De même en Croatie, les « linguistes » officiels reconnus par le pouvoir ont littéralement inventé des mots pour se distinguer de l’usage courant admis : ainsi en est-il de « porte-parole » devenu « glasnogovnirk » (haut-parleur), alors que « portparol » est employé couramment. Il en va de même pour « televizija » (utilisé par l’ensemble des langues slaves !) devenu « dalekovidnica » (vision à distance)…
  
Similitudes
La linguiste croate Snjezana Kordic y voit au contraire « une langue standard polycentrique parlée par plusieurs peuples ». Curieuses similitudes : imaginez un Béarnais parlant avec un Languedocien. Imaginez même un Provençal échangeant avec un Catalan : les différences même notoires ne contredisent pas des niveaux d’interdialecticités possibles. Ainsi à Gerona, à la librairie catalaniste de la ville, il est possible de parler l’occitan-provençal et de se faire comprendre. L’inverse l’est également. Essayez et vous verrez ! L’histoire n’est pas si loin, tout est relatif, où Catalans et Provençaux échangèrent et faguèron paches…
   En Croatie, la présidente actuelle, Kolinda Grabar Kitarovic, estime que ce manifeste relève d’un « projet politique mort avec l’ex-Yougoslavie ». Mais elle échange parfaitement avec le premier ministre serbe, rétorque l’écrivain croate Ante Tomic… Les initiateurs du Manifeste de Sarajevo, comme la Croate Snjezana Kordic, sont soumis à de violentes campagnes de presse de la part des nationalistes intégristes de leur pays. Accusés du refus de reconnaître l’existence du nouvel Etat croate, ils sont dénoncés comme parasites et apatrides honteux.
   Le fond de la question est historique. Un écrivain serbe, Milos Kovacevic, a lui tout compris et résume ainsi : la raison pour laquelle on ne veut pas nommer cette langue, « est qu’il s’agit de la langue serbe ». La boucle est bouclée. Mais au-delà de l’apparent paradoxe, les différences alphabétiques et lexicales sont loin de rendre sourds respectivement un Serbe, un Croate, un Monténégrin ou un Bosniaque qui échangent. La surdité n’est pas linguistique mais idéologique et politique : la « langue commune », réaffirmée par les linguistes du Manifeste de Sarajevo, veut remettre les choses à leur place. Il s’agit de reconnaître davantage qu’un simple substrat linguistique commun en déclinant des pratiques linguistiques qui ont défini des peuples, des histoires à la fois communes et différentes. Le nationalisme trouve toujours son compte dans l’effritement dialectal artificiellement entretenu. Le purisme linguistique n’est jamais que le paravent de situations conflictuelles qui se développent avant tout sur d’autres terrains.

Réactionnaires et  universalistes
    Je prends le risque d’établir des parallèles. En terre d’Oc, on retrouve les mêmes mécanismes et postures réactionnaires vis-à-vis de la langue. Avec deux extrêmes qui conjuguent leurs efforts pour la faire disparaître.
   La première, dans sa similitude caricaturale - et affaiblie, heureusement, comparée aux situations dans les Balkans -, ignore la pan-occitanité rappelée par Frédéric Mistral, produisant ainsi un révisionnisme linguistique (au sens propre du mot : « révision idéologique d’une doctrine »), faisant de la langue occitane en Provence une expression unique, ni dialectisée ni sous-dialectisée dans l’ensemble d’Oc. « Dis Aup i pireneu », disait Mistral. On se demande quel est le niveau d’approche scientifique de ses porte-paroles. Il n’empêche, la Région PACA, cette mal-nommée, prête une écoute attentive à ce galimatias pseudo linguistique. Elle aurait pourtant tort de ne pas approfondir le domaine linguistique qui rend compte transversalement d’une réalité culturelle à la fois particulière et commune à l’ensemble d’Oc.
   La deuxième, plus ouvertement réactionnaire dans sa façon de nier fondamentalement la question culturelle et linguistique, joue la carte de l’évitement universaliste qui confond à souhait l’égalité citoyenne et la non reconnaissance de la différence culturelle. Au nom de l’égalité ! Ce jeu de passe-passe peu glorieux, reconduit indifféremment et à des degrés divers par les équipes en place à Paris, est toujours en action. Dans ses manifestations les plus calamiteuses, elle peut jouer une culture contre une autre, privilégiant la préférence idéologique du moment. On ne peut ainsi ignorer, à titre d’exemple « local/régional » la préférence donnée à la question tibétaine par le maire de Villeneuve-Loubet, Lionel Luca qui, pourtant d’origine roumaine, ne devrait pas ignorer ces questions d’identités « régionales ». Précisément, ni la question des Roms ni celle des migrants n’intéressent cet édile. On se retrouve de plain-pied dans l’idéologie de la droite extrême qui nage dans les eaux troubles de l’extrême droite. Cette classe politique vous dira pourtant qu’elle aime le folklore régional. Sans aucun doute, parce qu’une folklorisation avancée de l’espace social ne remet jamais en question son pouvoir local. Ainsi en est-il des groupes folkloriques invités aux soirées du F.N. qui tombent dans le piège de la dédiabolisation.

  Le « Manifeste de Sarajevo » nous rappelle que la question linguistique et les conflits qui l’illustrent sont toujours de nature politique. Certains Provençaux, adeptes d’une identité close, réinventent sans le savoir des postures micro-nationalistes comparables - en paroles seulement- aux dérives des hyper-nationalistes des Balkans. Et la société française, dans ses manifestations actuelles, illustre très bien cette défaite culturelle qui,  prenant la partie pour le tout, se fige dans le dogme universaliste. Car c’est bien à ce niveau que se  revendique  aujourd’hui la « défense de la langue française », avec en prime la politique de la francophonie qui se situe également dans ce sillage de la « vraie langue » éternelle.

  Vincent Tancarel
  
Les références patronymiques et données chiffrées sont tirées d’un article de l’AFP.

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