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DOCUMENT - Manifeste des Elebeurs et Bergers de la ROYA
06 / 11 / 2020 401 lu(s) 
  " Nous, les éleveurs et bergers de La Roya et d'ailleurs, héritiers et passeurs des bergers chamanes qui jadis avaient gravé sur les rochers du Bégo les traces de leur vieille civilisation pastorale, nous appelons les citoyens et les populations de nos vallées et au-delà, à résister à la colonisation des esprits par la nouvelle industrie du "ré-ensauvagement".
   Ce courant de pensée d'inspiration anglo-saxonne, largement sponsorisé par les multinationales et autres GAFA à travers son produit phare, le loup, entend soumettre nos territoires ruraux aux exigences du marché mondialisé, afin d'en faire un terrain de jeu pour classes moyennes urbaines diplômées en perte de repères naturels.
   La simple idée qu'il suffise de quelques clics de souris pour protéger la nature et sauver la planète en dit long sur l'état de rupture du lien au vivant de l'immense majorité de la population dans nos sociétés hyper urbanisées.
Et, par-delà les siècles, nous entendons témoigner de l'actualité vivante du pastoralisme, de sa capacité de résilience et de son esprit de résistance.

   Les processus d'identification émotionnels qui, chez les amis du loup comme chez tous les animalistes, déclenchent un réflexe d'empathie relèvent de la même ignorance des principes fondamentaux de l'écologie, en particulier des nombreux exemples de coopérations inter-espèces qui, dans le cours de l'évolution, ont permis leur perpétuation et dont la domestication de nos animaux d'élevage est un parfait exemple.
   Outre le fait que leur compassion animaliste ne va guère plus loin que les quelques centaines d'espèces vertébrées sur lesquelles ils peuvent projeter leur angoisse existentielle, ils renient une autre loi fondamentale de l'écologie connue sous le nom de réseau trophique qui « est un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d'un écosystème et par lesquelles l'énergie et la biomasse circulent ». Autrement dit, le cycle de la vie inclut forcément la mort et le vivant se nourrit du vivant tout au long de la chaîne alimentaire. L'espèce humaine, au sommet de celle-ci, a la responsabilité finale de cet équilibre, au risque de sa propre disparition. Autrement dit, tuer un loup est aussi naturel que tuer un agneau. Et les éleveurs sont bien les premiers à savoir que tuer un animal n'a rien d'anodin.

   Pour continuer à se réclamer de l'écologie, tout en ayant ainsi trahi ses grands principes de base, il faut donc nécessairement reconstruire une narration.
C'est ainsi qu'en s'appuyant sur quelques grandes espèces emblématiques, le loup ou l'ours, est mis en scène le spectacle frauduleux d'une « nature sauvage » rendue enfin valorisable sur le marché mondial de l'éco-tourisme et des activités « outdoor ».
   Cette narration est celle « d'un bel animal injustement diabolisé et persécuté par des bergers archaïques mus par la peur de la bête du Gévaudan » comme savent l'écrire sans complexe les amis du loup. Ce mépris assumé de la ruralité qui s'exprime sans filtre sur les réseaux sociaux et les médias depuis maintenant plus de deux décennies met régulièrement en scène un « sachant » (éco-technocrate, naturaliste ami du loup, chercheur, journaliste, activiste) qui, du haut de ses préjugés et dans une pseudo posture de dialogue, vient expliquer à un « apprenant » (le berger, le chasseur, le rural) comment il doit s'adapter au monde moderne, c'est à dire à la prédation, c'est à dire, in fine, aux conditions même de sa propre disparition.

   Cette fiction autour de laquelle s'est construite la politique du loup en France est le fruit d'une imposture intellectuelle prétentieuse et cynique et ne peut en aucun cas se revendiquer de l'écologie, laquelle est « une science qui étudie les êtres vivants dans leur milieu en tenant compte de leurs interactions. Cet ensemble, qui contient les êtres vivants, leur milieu de vie et les relations qu'ils entretiennent, forme un écosystème ».
Et cet écosystème inclut l'éleveur, les élus locaux et les droits d'usage des populations locales. N'en déplaise aux belles âmes qui rêvent d'une « nature » enfin débarrassée de ses premiers usagers qu'il convient de réduire au silence afin de la soumettre entièrement à la gestion tatillonne des éco-technocrates du ministère de l'environnement, des éco-gardes des parcs nationaux, et aux diktats mercantilistes de tous les « escrologistes » de la galaxie pro-loup.

   L'écologie réelle ne peut que s'appuyer sur l'intelligence collective prenant en compte tous les usages ancestraux et les savoir-faire des populations concernées qui se sont construits lentement au fil des siècles sous la pression de l'environnement, et permettent encore aujourd'hui de faire de nos montagnes des milieux ouverts et vivants.
   De ce point de vue-là le pastoralisme qui, depuis des milliers d'années, a fait la preuve de son efficacité pour le maintien de la biodiversité sauvage et domestique est un modèle accompli de gestion écologique de nos milieux naturels, quoi qu'en disent ses détracteurs.
Encore plus que du loup, les bergers sont excédés des calomnies dont ils sont accablés dans la presse et sur les réseaux sociaux par tous ces promoteurs sectaires d'une nature sous cloche, éco-muséifiée, mais qui sont en réalité les véritables fossoyeurs de la montagne.
C'est pourquoi nous revendiquons et assumons totalement l'action qui, le 2 août au Cinéma de Tende, a mis fin à la tentative de projection d'un film panégyrique à la gloire du loup.
   Le gouvernement, la direction des parcs nationaux, les amis du loup doivent savoir que nous réagirons sans violence, mais sans concessions non plus, à toute nouvelle provocation de cet ordre.
Et à ceux qui couinent à l'atteinte à la liberté d'expression, nous répondons qu'elle n'autorise ni le mensonge, ni la calomnie.
Le sauvage n'a définitivement pas sa place dans l'environnement domestique. C'est même ce qui l'en distingue radicalement. Il est d'importance vitale que la frontière entre les deux soit bien marquée. Toute incursion du loup sur le troupeau se fait dans un environnement humain, dont il devient dès lors dépendant pour sa subsistance. On ne peut donc plus parler d'animal sauvage, mais plutôt d'espèce dont le comportement de prédation s'est spécialisée sur la brebis dans un processus d'enhardissement et d'habituation qui a été encouragé par les mesures de protection renforcées dont bénéficie l'animal dans la réglementation française.

   La France, pays naïf, a ainsi délibérément favorisé par sa législation la sélection d'un loup délinquant.
Il n'est pourtant pas très compliqué de comprendre que lorsqu'on met en compétition sur le même territoire, un prédateur et sa proie, et que de surcroît on prend des mesures de protection totale du prédateur, c'est la proie, donc la brebis, qui va disparaître.

   Nous en appelons donc aux élus, à l'état, aux forces politiques de notre pays afin qu'ils prennent maintenant la mesure de leurs responsabilités et sortent enfin du double langage.
   La récente crise sanitaire et la quasi rupture des chaînes d'approvisionnement alimentaires vers la fin des deux mois de confinement ont démontré la pertinence de maintenir un élevage pastoral et de proximité en vue de garantir la sécurité alimentaire de la population.
Nous exerçons un métier de passion que nous sommes prêts à partager, qui donne du sens à une carrière professionnelle, inspire de nombreuses vocations de jeunes ou moins jeunes venus s'installer en montagne, qui la font revivre à travers un tissu diversifié d'emplois productifs, permanents et non délocalisables.

   Nous sommes fiers de nos produits d'excellence, viande, lait, fromages, issus d'animaux nourris en alpage et en plein air où le bien-être animal est une réalité vécue au quotidien, et pas simplement la transcription bureaucratique et abstruse d'une directive européenne. Nos produits sont plébiscités sur tous les marchés, que ce soit en circuits longs ou circuits courts. Et à tous les stades de la filière, production, transformation ou commercialisation, ils requièrent des compétences et créent des chaînes de valeur.
   La condition même pour le maintien d'une population de loups sauvages est précisément qu'il faut l'éliminer dès qu'il est en approche du troupeau, c'est à dire qu'il pénètre dans l'environnement humain.
Ce n'est pas simplement nos chèvres et brebis qu'il s'agit de protéger, mais aussi nos enfants, nos familles, nos amis, et au-delà les populations de nos territoires.

   L'irresponsabilité et l'incompétence des autorités publiques françaises sur ce dossier du loup entraîneront inévitablement, un jour ou l'autre, un drame humain. Et ce jour -à, il n'y aura plus personne pour laver les mains de tous ces éco-tartuffes qui font aujourd'hui prospérer leur fonds de commerce sur la détresse des éleveurs.
Seule une réponse létale à toute approche des troupeaux domestiques renverra le loup dans les espaces sauvages. Un loup sauvage est par définition celui qui a peur de l'homme.
Le régime de tir de défense dans l'environnement du troupeau, mobilisant éleveurs, brigade de louveterie, chasseurs, doit être étendu et systématisé sans condition ni plafond, seule solution pour éduquer les loups et leur réapprendre la crainte de l’homme et la conscience du risque s’ils s’approchent des animaux domestiques.
   La France, tout comme récemment la Suisse est en train de le faire à travers une initiative parlementaire, doit s'engager dans la voie du déclassement du loup de son statut d'espèce strictement protégée.
   Sortir du cadre réglementaire dérogatoire implique de renégocier l'annexe 2 (espèce strictement protégée) de la convention de Berne, pour la faire passer en annexe 3 (espèce protégée) et de même l'annexe 4 de la directive européenne habitat, pour la faire passer en annexe 5 (idem). Ceci permettra à notre pays de respecter ses engagements internationaux en faveur de la conservation de l'espèce canis lupus tout en menant une politique de régulation active du prédateur en fonction du niveau d'attaques sur les troupeaux. C'est déjà ce qu'a choisi la majorité des pays signataires de la convention de Berne qui conservent du loup sur leur territoire. C'est donc possible, d'autant plus que l'espèce n'est pas menacée de disparition, mais recolonise des territoires sur toute la planète.

   Nous revendiquons un débat public et contradictoire sur tous les territoires où la présence du loup est avérée en y impliquant toutes les parties concernées (chasseurs, éleveurs, élus locaux, citoyens, acteurs et associations du monde rural). Seul un grand débat démocratique est en mesure de mettre fin aux errances de cet écologisme haineux, sectaire et punitif, qui prospère sur les plateaux télé et dans les médias.
   Dans l'attente, et sans réponse crédible du gouvernement, nous appelons les éleveurs à la désobéissance civile. Nous soutiendrons et serons solidaires de tout éleveur qui élimine des loups et des meutes en situation d'attaque, comme nous l'avions fait en 2003 lors du procès de Johannes Poguntke, éleveur de La Roya qui, en état de nécessité, avait dû protéger son troupeau contre le prédateur.
   Nous appelons les élus, les formations politiques et la population à réagir et à se réveiller de ce rêve mortifère dans lequel le pastoralisme ne serait plus que la variable d'ajustement d'une montagne toute entière vouée à l'éco-tourisme lupin, avec en contrepoint quelques troupeaux conservés aux fins de carte postale.

   La crise sanitaire que nous venons de vivre a largement démontré l'état de pénurie et de dépendance dans laquelle les politiques successives de désindustrialisation ont mené notre pays depuis les années 80.
La mise en concurrence délibérée sur nos territoires ruraux et montagnards du pastoralisme avec la nouvelle économie émergente du « sauvage » relève du même aveuglement idéologique.

   Dans une perspective de transition écologique l'élevage herbager et pastoral doit au contraire être considéré comme la clé de voûte d'une nouvelle politique de souveraineté alimentaire, basée sur un modèle d'agro-écologie bio et paysanne, celle qu'il incarne déjà depuis des millénaires."

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