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Histoire et politique/ Quand Michel Vauzelle refoule toute mémoire d'une histoire plurielle, il n'est pas le seul. Vincent TANCAREL
18 / 04 / 2019 401 lu(s) 
                   ISTÒRIA  E  POLITICA

Quand Michel Vauzelle refoule toute mémoire d’une histoire plurielle, il n’est pas le seul...

   Les raccourcis historiques de Michel Vauzelle sont dans le droit fil d’une vieille tradition centraliste qui ne se dément toujours pas. Ignoré de la politique par ses pairs, il persévère sur Internet dans l’adoration de l’Unique. Ses proclamations anti-fédéralistes ressassées trouvent plus ou moins écho dans le consensus d’une classe politique confrontée à une mondialisation ultra-libérale.

Acte 1- Première déclaration, vieille idée fondatrice

« Chevènement a raison. La France est un des rares Etats d’Europe à n’être ni de fait ni de droit fédéral. Les Français sont un peuple qui « fait », comme on dit aujourd’hui, Nation. Dans le profond malaise que ressent en ce moment notre peuple il y a ce reniement de nos valeurs. » (face book@Vauzelle -26/02/19)
  M. Vauzelle, ex-président de la région technocratique PACA, s’épanche dans son face book à défaut de tribune élective. Il  aime pratiquer les raccourcis historiques qui  légitiment son itinéraire « néo-jacobin ». Ancien garde des Sceaux, constitutionnaliste, entre autres choses, il n’ignore pourtant pas que 1789 vit la première fête de la fédération vite enterrée, il est vrai, par le virage de la terreur qui emporta ensuite Robespierre et les radicaux d’une république une et indivisible… Ce schéma de l’Unique fit long feu et s’ancra dans le fonds idéologique des politiques de toutes tendances, au point que plus de 200 ans après on rajouta dans la constitution cet épithète pour bien rappeler l’unification de peuples différents, ne parlant pas tous la même langue au sein d’un hexagone homogénéisé. L’article 2 vint avec Toubon compléter le mécano de l’Etat français au nom de l’égalité citoyenne et de la lutte contre l’expansion de l’Anglais. Bien avant, le nordique Rouget de Lisle et sa Marseillaise firent des Marseillais des patriotes qui parlaient tous français alors qu’ils n’échangeaient majoritairement qu’en occitan-provençal…Triste histoire, petite histoire…

Acte 2- Les « oublis » des historiens ne se retrouvent pas dans le journal « Le Monde »

   Il est symptomatique, dans cette tradition, que le livre-pavé, « Histoire mondiale de la France », dirigé par Patrick Boucheron, qui se vend aujourd’hui à des milliers d’exemplaires, ne fasse aucunement référence au fédéralisme initial de la Révolution. D’autant plus que la partie consacrée à 1789, signée d’Annie Jourdan, donne en exemple le soulèvement des « Etats Belgiques Unis » (automne 1789). Mais parallèlement, la Révolution n’hésita pas à arrondir ses frontières en annexant des « enclaves étrangères » en Alsace et dans le Comtat Venaissin (de 1790 à 1793), imposant le drapeau tricolore et l’arbre de la liberté, sous prétexte que les peuples voulaient devenir français (campagne de Belgique 92-93 et Brabant néerlandais). Curieuse façon de  traduire le message révolutionnaire du respect du droit des peuples à leur souveraineté. Complexités de politiques antagoniques qui se chevauchent dans le cursus républicain : telle qui veut républicaniser l’Europe, piétine allègrement les principes de Liberté et d’Egalité. Le journal « Le Monde » qui consacre une page entière à ce livre ne relèvera pas ce trou d’air d’histoire. Et l’histoire de la Corse conquise militairement, la Corse indépendante de  Pascal Paoli, son désir de constitutionnalité ignoré par les conventionnels sont passés sous silence. « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ? Encore  un flatus vocis.

  Un exemple a contrario nous montre comment peut naître l’idée fédérale aux marges de l’Hexagonie en formation. La Suisse moderne du début du XIXe siècle (pas celle des banques d’aujourd’hui) s’ouvre à l’idée fédérale (Traité de Vienne 1815) puis en 1848  modernise les cantons ayant le même statut et qui se réunissent en tant qu’Etats. Il est vrai que cette tradition cantonale remonte à 1291, à l’origine de l’Etat suisse (1er Août, fête nationale) et que les villes occitanes dont le statut est soumis à la gestion des capitouls sont absorbées progressivement par le pouvoir féodal et monarchique central après la conquête française. Pour la Suisse, tout passe par ses 26 cantons-Etats dont chacun a une organisation spécifique. On a là tous les ingrédients d’une révolution en profondeur des territoires et de la représentation politique. Ces Etats ont chacun une ou des langues plurielles pratiquées et revendiquées (italien, allemand, français, romanche). On peut aussi prendre en compte une partie de la bourgeoisie influencée par le discours des Lumières et l’ancrage du protestantisme, à la différence des pays latins majoritairement catholiques. La citoyenneté s’impose dès lors comme le fruit d’une recherche du partage du pouvoir. Les référendums et les votations (2 à 4 par an) se font à plusieurs niveaux, cantonaux et confédéraux, souvent en même temps. Une loi votée peut être soumise à référendum trois mois après. Le risque existe toujours entre l’offensive populiste (votation sur les minarets) et la revendication sociétale (vivisection, alimentation, mort…). Toute élection est régie par la proportionnelle, à la différence du système majoritaire français.

  Car la France vit dans un autre monde.
  La contradiction est donc flagrante entre les principes de « fédération » respectés momentanément ailleurs mais ignorés sur le territoire de la Révolution (dans le « Midi » on est souvent girondins et en 1790, une ville comme Digne a une sensibilité fédéraliste. On devine la suite…). L’idée fédérale est tuée dans l’œuf, la dérive centraliste ira en s’aggravant avec la trahison des idéaux républicains par Bonaparte qui « monarchise » la géopolitique européenne, sous gouverne familiale…

Acte 3- l’a-mémoire de Michel Vauzelle n’est pas isolée.

  Ce constat est bien d’actualité : « les français sont un peuple qui « fait » aujourd’hui nation.  Dans le profond malaise que ressent en ce moment notre peuple il y a ce reniement de nos valeurs. »
  Formule elliptique qui est loin de faire consensus, heureusement, auprès d’historiens contemporains. « Faire nation » serait la recette cristallisée propre au « peuple français » qui a su transcender son histoire plurielle pour se retrouver aujourd’hui uni dans une gestation commune et consentie dans et par le temps. Raccourci « républicain », M. Vauzelle : c’est justement ce temps –monarchique puis républicain- qui a fait l’intégration/assimilation par la force et le droit au service des pouvoirs successifs, comme il s’est ensuite exercé sur les peuples colonisés par l’Europe et la France. La bourgeoisie française, dans ses nombreuses déclinaisons, a toujours été au premier rang des mystifications historiques dans leurs versions coloniales. Et de cette répression historique, il reste toujours quelque chose…

Finale ou prolongations avec le « Grand Débat National » ? Le temps du mépris.

   Le « profond malaise actuel du peuple français » n’aurait-il là que sa source unique ? Les Gilets jaunes en sont un bel exemple complexe, composé de revendications socio-économiques qui sont le fondement du mouvement. Il n’y est pas question de revendications régionales, encore moins linguistiques. C’est la révolte d’une partie des classes moyennes et des laissés pour compte qui se rend à Paris, parce que le pouvoir politique est là et que les Régions -encore moins l’Europe ultra-libérale et ses contraintes austéritaires-, sont des nains politiques sans grande possibilité de changer ce « monde d’en bas ». Fruit amer d’une histoire centralisée, départementalisée, métropolisée, saucissonnée à l’envi où seul le Centre retrouve ses petits, ses placements, ses manœuvres immobiles, ses classes politiques successives qui ne changent plus rien, avec leurs lois redondantes et de plus en plus répressives. Le dernier exercice de ce pouvoir à la peine, grevé d’inintelligence « réformatrice »  est le « Grand débat national », dernière illustration d’une méthode qui consiste à parler pour ne rien dire, surtout à faire parler pour gagner du temps et calmer la grogne populaire qui pourrait s’étendre à d’autres couches sociales.

   Dans ce contexte large, les échos étouffés de M. Vauzelle peuvent paraître dérisoires quand il parle de « nos valeurs » avec cette myopie historique représentative d’une classe politique qui ne veut et ne peut plus rien inventer. Il a participé à ce jeu de dupes, acteur et victime d’une histoire répétitive qui a dégénéré dès la Convention et ses lois répressives bonapartisées, oublieuses de l’idée fédérale qui aurait pu lui donner un autre cours. Ne lui jetons (pas trop) la pierre ; à sa décharge, il n’est malheureusement pas le seul car les exemples de gens se réclamant de gauche et du Peuple, ne sont pas isolés dans la dernière charrette coincée dans ce cul-de-sac d’histoire officielle. Quoiqu’on pense de ce capitalisme chevronné qu’est la Suisse, de sa neutralité et de ses banques, sa constitution fédérale est un bel exemple d’antisystème face aux systèmes politiques français et européens. Elle a le mérite d’exister, ne serait-ce que pour interroger les nouvelles générations politiques, issues, malgré elles de cette vieille France matricielle qui freine des quatre fers toute évolution.

Vincent Tancarel
(Mars 2019)
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