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LA CORSE ET LES REGIONS DE L'ETAT FRANCAIS - Gérard Tautil
03 / 03 / 2018 408 lu(s) 
LA CORSE ET LES REGIONS DE L’ETAT FRANCAIS

            DE L’IDEE NATIONALE
   A  SA CONSTRUCTION PAR L’AUTONOMIE*

           « Accélération de l’histoire », diront certains ? « Travail de terrain » depuis plus de cinquante ans, diront d’autres. Ce qui est certain, c’est que nous assistons à la percée du peuple corse construite par ses deux courants nationalistes. Un processus original qui vient s’imposer, après la Catalogne, à la fois dans l’actualité française et européenne.  

Le poids du facteur électoral face à une négociation difficile

   Une victoire électorale répétée qui a créé la surprise dans l’ensemble de la classe politique même chez les vainqueurs, telles sont les prémisses d’un long cheminement inachevé. « Passer  de 25%, score cumulé Femu a Corsica et Corsica Libera au premier tour 2015, à 35% au second tour, était déjà une progression remarquable. » (1) Le système politique français qui cultive une surdité historique remarquable s’est réveillé avec un dossier lourd à gérer. Face à cette nouvelle donne, il se trouve confronté directement à toutes les solutions traditionnelles de survie : les clans et les représentants d’un centralisme suranné. Et si ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot, ils sont aujourd’hui en situation de faiblesse. Paris a mis le temps pour savoir quelle solution adopter face au verdict électoral incontournable. Des échanges non connus du grand public ont pourtant été engagés. Mais la négociation demandée par G. Simeoni et J-G. Talamoni semble avoir été entendue -très partiellement il est vrai- par la ministre J. Gourault qui, envoyée en éclaireuse, a déclaré néanmoins qu’il était nécessaire que « la constitution puisse s’adapter aux nécessités politiques de tous les territoires français ». Formule à la fois générale et tout dans la nuance... Enoncée face au statut commun des territoires, ce beau principe de précaution à la clef, on mesure l’avancée fragile de l’idée à travers les mots utilisés. Et les échanges avec « Madame Corse », venue sur l’île avant la venue de Macron, sont au niveau des politiques traditionnelles malgré les apparences et la bonne volonté avouée des interlocuteurs sur les questions sensibles :
- refus de la co-officialité de la langue corse (« ce n’est pas envisageable » sic), votée par la collectivité dès 2015, et que M. Valls, Catalan vergonhós, avait niée en juillet dernier devant l’Assemblée de Corse. Mais en contrepartie, 9 millions annuels déclarés en faveur de l’enseignement du corse. (2)
- Refus du statut de résident (30% des bâtis sont des résidences secondaires, soit le taux « national » le plus élevé ; et « la loi littorale pourrait être aménagée pour libérer du terrain à construire », - dixit la ministre -, rapporte l’association U Levante). (3)
- Refus de la reconnaissance de prisonniers « politiques » mais rapprochement en cours dans la prison de Borgo. Quant à l’amnistie, elle n’aurait pas été posée par les représentants de la Collectivité, selon la ministre.
   « Concertation sans préalable ni tabou » ne cessent de répéter les représentants de ce gouvernement « ni de gauche ni de droite »…

   Que reste-t-il de la revendication corse ? Une nouvelle version de la voie étroite ? Comment faire avancer une solution politique démocratique digne de ce nom ? C’est la question centrale qui se pose à la société corse et à ses représentants élus. Mais les choses peuvent et doivent évoluer. On parle aussi de droit à la « différenciation » qui pourrait déboucher pour les collectivités sur certaines dérogations règlementaires (pouvoir législatif?). Plus largement une évolution de ce type exigerait une révision constitutionnelle. Mais jusqu’où ? Et seulement pour la Corse ? Question centrale : Comment dépasser le statu quo de l’Etat ?

La solution autonomiste est un cheminement exigent

    3=1, pourrait-on dire après la fusion des deux départements et de l’Assemblée territoriale. C’est déjà une grande avancée qui n’est pas que symbolique. La Corse est bien le problème le plus sensible auquel est confronté le pouvoir central, notamment en raison de sa proximité avec le continent. Bien différent des solutions ultra-marines, et même et surtout, en tenant compte d’une population de seulement 300 000 habitants ; la reconnaissance de l’existence de ce petit peuple est une sacrée épine plantée au creux d’une histoire qui ne se comprend pas sans solution centrale et sans reconnaissance essentialiste d’une identité française prétendument inamovible. Différent de celui de La Nouvelle Calédonie qui aura un traitement lié à la répartition des votes des résidents, avec un risque non reconnu de partition de l’île ; différent de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, pour l’heure rongées par la question sociale difficilement endiguée, et hors de toute  reconnaissance d’autodétermination. La situation coloniale perdure illustrée par les discours « républicains » préfectoraux à géométrie variable. Mais dans le cas corse, la partie est plus sensible, pour les raisons évoquées. C’est dans ce contexte que les responsables corses vont devoir s’appuyer sur les forces du changement. Elles existent si on en juge le saut quantitatif du dernier scrutin  avec un gain de 10% entre les deux tours attribué à un vote de la jeunesse. Là est la bascule attendue. C’est sans doute la preuve avérée des forces qui mettent en avant la solution de l’autonomie ; car c’est elle qui aujourd’hui peut traduire plus de démocratie et de changement social. Et le programme des élections  prolonge le travail engagé par la Collectivité de Corse. La préoccupation sociale est bien une donnée importante prise en compte. Certains politiques de gauche, toujours critiques, tenteraient de l’oublier. C’est pourtant, à l’initiative des nationalistes que la Collectivité de Corse s’est dotée  d’un « Plan de lutte contre la précarité et la pauvreté » qui ne se contentera pas de réparer mais de prévenir. Il répondra  aux questions de la vie quotidienne : aides sociales, médico-sociales, logement… Le droit social est-il aussi clairement revendiqué et mis en chantier dans l’ensemble des régions de l’hexagone ? Preuve est faite que l’autonomie n’est pas qu’une question institutionnelle, elle doit aussi répondre aux préoccupations élémentaires de la vie des citoyens corses.
   Il y a là une maturité qui s’exprime sans détour, une pratique politique responsable. La montée des forces du changement est contagieuse, elle va toucher de nouvelles franges de la société en faisant la preuve que la démocratie se gagne par l’engagement du plus grand nombre autour des conditions du vivre ensemble. On comprend alors pourquoi la question du FN (un  nombre encore important des votants aux présidentielles) est en passe d’être réduit à sa plus simple expression. Tout comme la vieille politique des clans. Une page semble tournée : il faut trois ans pour construire l’autonomie. L’Etat français est mis au défi. Les nationalistes n’ont pas d’autre choix que de réussir. Et plutôt que d’attendre une hypothétique « évolution constitutionnelle », c’est dans le rapport des forces en Corse que tout se décidera, n’en déplaise à Paris l’obscurantiste.

        Toute avancée politique d’un territoire est une avancée pour d’autres territoires

     Loin de la situation catalane, la question corse est spécifique. Elle ne revendique pas l’indépendance. Elle se distingue aussi de la situation des régions en France dont l’identité s’affirme. Car si les avancées institutionnelles en Corse auront des retombées pour nous, encore faudra-t-il que se construisent d’autres avancées politiques, quelles qu’en soient les formes. C’est une donnée à prendre en compte, car là est toute la stratégie pour faire évoluer l’Etat unitaire qui ne veut pas changer, sinon à la marge et sans remettre en question le statu quo. Une avancée dépend autant du dépassement de ce cadre politique étatique que du rapport des forces que les « régionalistes » et autres autonomistes seront capables de développer dans leurs territoires respectifs. Une Occitanie – à commencer par celles et ceux qui s’en réclament - qui mettrait au premier plan de sa politique la question de la transformation fédérale de l’Etat et celle de l’autonomie des régions serait une première avancée dans le domaine de la clarté politique. C‘est une évidence qui demande ensuite beaucoup de sacrifices et d’intelligences pour faire converger les initiatives et les rassemblements en ce sens. Version optimiste, parions pour cette solution, au risque du sur-place et de la régression politique programmés. Nos amis Corses sont passés par des situations plus dramatiques. Apprenons à lire la Corse nouvelle qui se construit (4).
                
         Gérard TAUTIL (8/1/2018)

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* Ce texte, écrit un mois avant le voyage et le discours de fermeture de Macron en Corse, confirme les idées néocoloniales de ce gouvernement. Les élus corses doivent à présent trouver les moyens d’une riposte politique après une rencontre prétendue « sans préalable ni tabou ».

(1) Arritti ! N° 2542h (3-1-2018)
(2) Ira-t-on jusqu’à la ratification de la Charte européenne comme le laisse entendre J. Gourault ?
(3) U Levante, Association de protection de l’environnement en Corse (8-1-2018)
(4) Cette lecture du changement en Corse est d’autant plus actuelle que, face à la conquête électorale et à la surdité répétée de l’Etat, la manifestation annoncée du 3 février vient rappeler que rien ne s’obtient sans l’élargissement des luttes. (25/01/18)
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