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L'Europe des Etats contre la démocratie. G.Tautil
27 / 11 / 2017 397 lu(s) 
L’EUROPE DES ETATS CONTRE LA DEMOCRATIE
                  
La répression de la démocratie catalane
place l’Europe devant ses responsabilités  


   Dans le conflit qui oppose Madrid à Barcelone, la mise sous tutelle du gouvernement catalan par la droite espagnole la plus dure est aussi l’un des enjeux de la classe politique des Etats d’Europe. Tout observateur qui connaît un peu les dessous de cette situation sait que Rajoy n’en est que l’élément le plus visible, et que ses rappels à l’ordre établi- la légalité de sa constitution- est le seul argument pour justifier l’envoi de ses forces spéciales contre une société civile non-violente à ce jour. La répression contre le dialogue. La logique de cette ligne espagnoliste confirme sa stratégie de l’Etat unitaire dont le point d’orgue aboutit à l’annonce d’un scrutin officiel imposé aux Catalans le 21 décembre. Oubliée l’idée d’un Etat plurinational de la constitution de 1978 et retour sur certains acquis en 2010 (la nation catalane reconnue seulement « historique », la langue catalane obligatoire mais non prioritaire, la suppression de l’autorité de tutelle catalane sur les questions de justice).  Refusée également la négociation d’un pacte fiscal bilatéral (2012), à l’origine de la grande manifestation du 11 septembre 2012 (1). D’où la carte européenne jouée avec intelligence par le gouvernement catalan contre un pouvoir européen qui se dérobe depuis le début à ses responsabilités d’institution internationale : faire respecter le principe qu’a tout peuple à l’autodétermination, cet acte démocratique énoncé par la charte de l’ONU… Saluons le gouvernement catalan qui, par la voix de Carles Puigdemont lors de sa conférence de presse à Bruxelles, a relevé le gant, tout en prévenant, lucidité oblige, qu’en cas de victoire de la société catalane, aucune garantie politique ne respecterait sa victoire éventuelle. Le risque est réel, le pari engage la Generalitat. Mais c’est aussi le risque encouru par Rajoy qui a joué la carte électorale pour contrer la poussée indépendantiste. L’Europe doit permettre, dans l’urgence, le débat politique entre les deux parties. Elle ne peut continuer à soutenir aveuglément les Etats et la « légalité » de l’Etat espagnol.
                                            
Europe : « unité dans la diversité » ?

   Cette actualisation du droit international et son adaptation à l’Union européenne est bien le fond de la démocratie dont ne se réclame pas la majorité des Etats de l’Union… Ce rappel élude toute actualisation des textes fondateurs onusiens. L’Europe est à des années-lumière de toute application de ce principe et le tandem Merkel - Macron, à la tête de ces Etats qui ne veulent surtout pas se défaire, refuse de s’engager dans un processus incertain questionnant leur « intégrité nationale ». Car leur histoire s’est faite au cours de nombreux conflits européens et mondiaux, par des conquêtes territoriales dont les peuples qui les composent sont les grands perdants des Etats constitués. L’Europe économique qui est née dans les années cinquante autour des premiers accords s’est alors ouverte à des Etats dont les préoccupations restaient avant tout « nationales ». A la faveur des divers traités  favorables à une logique libérale généralisée, la question d’une Europe politique est restée lettre morte. Cette Europe, se faisant fort de respecter son principe d’unité dans la diversité, s’est enkystée dans une logique interétatique dont elle ne souhaite pas se dédire. C’est dans ce contexte que les crispations des Barroso et Junker ont perpétué cette stratégie qui aujourd’hui est remise en question par la poussée d’une partie des peuples du Royaume Uni et d’Espagne. Autre pays, autres mœurs : le débat entre Londres et le parlement écossais démontre que la concertation démocratique est possible. Le référendum du Québec avait précédé cette ouverture incertaine, mais la démocratie avait joué.
                                  
Une stratégie pragmatique du court et long terme

   L’Europe a donc choisi le  blocage en soutenant Rajoy et les nostalgiques du franquisme. En appliquant l’article 155 qui place la Catalogne sous tutelle et remet en question son autonomie, en emprisonnant les responsables de l’Assemblée nationale catalane (ANC) et Omnium Cultural, en poursuivant dix membres du du gouvernement catalan, elle met sous surveillance tout un peuple dont l’aspiration à l’indépendance ne peut que croître. (2) La répression est donc de retour, elle sera présente dans la préparation du scrutin du 21 décembre. Mais le retour à la gouvernance autonome ne peut plus aujourd’hui être dissocié de la revendication indépendantiste. Rajoy a réussi à faire monter un vote indépendantiste depuis dix ans. Et le vote du 1er octobre a renforcé ce choix par la voie démocratique. Il  avait été précédé au Parlement de Catalogne par celui du 23 janvier 2013 (85 pour, 41 contre et deux abstentions). Ceux qui à Madrid comme à Bruxelles parient sur la dissociation du retour à l’autonomie de l’indépendance se trompent de stratégie. Ceux qui, à Paris comme à Berlin, jouent toujours la même carte étatiste s’enferment dans de misérables calculs politiciens dans une logique de survie. Bruxelles et Madrid veulent ignorer qu’une dizaine de nouveaux Etats, en partie membres de l’UE ou liés par des accords économiques, ont vu le jour ces dernières années. Mais les réponses à géométrie variable de Bruxelles témoignent de sa cristallisation actuelle. Situation nouvelle, pourtant : membre d’un Etat titulaire de l’Union, la Catalogne et l’Ecosse contre le Brexit entament un chemin sans jurisprudence. La pression des nations sans Etat est un argument de poids contre le veto espagnol. L’Europe devra tenir compte de l’évolution possible d’autres Etats de l’Union ; elle n’ignore pas le poids politique de la Catalogne avec la création de l’ARF et sa participation au Comité des Régions de l’UE présidé par Pasqual Maragall, ancien maire de Barcelone. L’Europe doit trouver un modus vivendi transitoire qui permette le maintien des acquis politiques et d’affermir le potentiel économique catalan. Le blocage actuel devra évoluer par le développement des rapports de force, et cela l’Europe le sait, nonobstant les coups de menton de Macron-Merkel. Il est vrai que pour l’Etat français la proximité d’une Catalogne indépendante avec sa partie roussillonnaise est une sacrée épine. Car la situation catalane appelle à un nouvel ordre démocratique européen. Là est le vrai problème qui transcende toute vision strictement « régionale ».

   Soutenir l’indépendantisme catalan sans aucune restriction, pour une autre Europe  

   Ceux qui n’ont pas voulu prendre position pour l’indépendance catalane sous prétexte que le choix revient aux seuls Catalans –ce qui est un beau truisme !- ont adopté un neutralisme timoré et stérile, à contre-histoire comme ceux qui s’y opposent. Car l’enjeu catalan est européen et annonce l’autre politique européenne possible. Il pose la question des politiques de proximité, celles des Etats sans nation, celle des peuples qui nourrissent une autre forme de démocratie dans cette partie du continent.  Quant à ceux qui dénoncent, comme le fait une gauche « populiste» au service d’un souverainisme français rétrograde, nous les enjoignons à réfléchir à toutes les formes de fédéralisme existant pour construire d’autres formes d’organisation politique. Une supranationalité européenne n’est pas à l’opposé de ces constructions actuelles et futures. Certes, de l’utopie à sa modélisation en acte, nous sommes loin. Elle permettrait cependant l’exercice d’une autre gouvernance des peuples et des communautés à venir. Comme pour la Catalogne dont la Generalitat a été créée en 1359 par les Corts de Cervera, par la Mancomunitat de 1914, par le statut de 1932 et celui de  la Generalitat de 1979. De longues racines pour participer à la refondation d’une modernité démocratique… Qui peut en dire autant en Europe ? Encore faudrait-il que les gouvernants actuels transcendent leur atavisme souverainiste et leurs carcans juridico-politiques d’un autre temps. Ce qui est loin d’être gagné. Mais la rupture avec le vieux monde est bien là!

3 novembre 2017
  Gérard TAUTIL

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(1) « Au total l’Etat espagnol ponctionne sur la Catalogne une somme nette supérieure à 40 milliards d’euros par an, soit près de 21% de son PIB. C’est l’équivalent du PIB total de la Bulgarie ou de la Lituanie. Cette somme est supérieure au budget total de la Generalitat. » L’indépendance de la Catalogne, quel avenir? De la dictature franquiste à l’autonomie et à l’autodétermination. Joan Becat (Països Catalans-Terra Nostra, 2013).
(2) A condition que l’unité se fasse et se renforce.  « Le dernier baromètre livré par le centre d’études et d’opinion de la Generalitat donne le soutien à l’indépendance de la Catalogne en croissance et des résultats favorables pour les partis de la majorité du Parlement, tout juste dissout suite à l’activation de l’article 155. » (l’Indépendant, 2 nov. 2017). C’était, il est vrai, avant le départ de C. Puigdemont en Belgique et le dépôt des listes indépendantistes.
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