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Le développement local, démarche globale ou territoriale en terres occitanes ? Philippe LANGEVIN
18 / 04 / 2020 399 lu(s) 
LE DEVELOPPEMENT LOCAL,
       DEMARCHE GLOBALE OU TERRITORIALE
            EN TERRES OCCITANES ?



   La réponse est dans la question. Si l’Occitanie n’est ni un territoire économique, et encore moins un territoire politique, la culture qui l’a forgée, et notamment sa langue qui lui a donné un caractère universel, situent ce vaste espace du sud de la France au cœur des changements du monde.

            En quête d’un nouveau modèle

   Le modèle économique de l’après-guerre a été construit sur la production de biens et de services dont l’augmentation régulière témoignait de la réussite d’un pays. Le produit a été considéré comme un progrès dont tous les habitants, toutes les entreprises, tous les acteurs devaient bénéficier. Il n’y avait de territoire que national. Ces temps sont terminés. Le basculement des années 75, les crises des années 2007, la mondialisation, la révolution numérique, le désengagement de l’Etat sont venus rappeler que l’augmentation de la production mesurée par le taux de croissance du produit national brut, par ailleurs en forte baisse, ne faisait pas le bonheur de tous. Le développement a été alors conçu dans une démarche qualitative faisant appel à la solidarité, au prix des choses sans prix et à la qualité des relations sociales. Le réchauffement climatique, la crise énergétique et la dégradation de la nature ont conduits à ne plus parler du taux de croissance mais du développement durable. Le territoire n’est plus un lieu mais un milieu. Chacun a son histoire, un paysage, une identité. Celle de l’Occitanie est trop connue pour être rappelée.
   La problématique du développement durable interroge naturellement les territoires dans leurs capacités à s’engager dans des politiques de développement soutenables. Sans privilégier un échelon particulier, le territoire peut s’appréhender dans trois dimensions particulières :
- une dimension identitaire  qui se traduit par un nom, une histoire, un patrimoine, une représentation partagée par les groupes sociaux qui l’habitent
- une dimension matérielle caractérisée par une économie, une armature urbaine, des réseaux de desserte, le poids des secteurs d’activité, les données de la géographie
- une dimension organisationnelle définie par l’organisation des acteurs locaux, les modes de gouvernance, les capacités propres d’intervention des pouvoirs locaux.
   Si la croissance relève d’une approche globale, le développement est par nature territorial. C’est dans la proximité qu’il s’appréhende, qu’il se vit, qu’il s’exprime à travers l’amélioration des conditions de vie des habitants d’un territoire : accès à l’emploi, au partage, au logement, à la qualité de vie et aux services publics et privés.
   L’analyse du développement durable dans son inscription territoriale est celle des interactions possibles entre ses finalités et ces trois dimensions : la culture relève de l’approche identitaire, l’économie et le social relèvent de l’approche matérielle, la gouvernance de l’approche organisationnelle. Il s’agit donc bien d’une approche pluridisciplinaire autour d’un principe objectif d’interdépendance qui s’exprime de façon spécifique dans tous les territoires vécus.
   L’interdépendance dans le temps souligne que les décisions de court terme vont avoir des conséquences sur le long, voire le très long terme sur les générations futures. L’interdépendance entre les disciplines relève d’un constat de bon sens : l’économique agit sur le social qui le façonne en retour. L’écologie dépend du mode de production retenu. L’interdépendance entre territoires met en évidence les « effets de débordement » d’un territoire par rapport à un autre. Le territoire n’est jamais fermé. Il peut y avoir opposition entre les territoires des problèmes et les territoires des décisions. On parle alors de développement local ou territorial comme une nouveauté alors que cette analyse par le bas avait déjà été portée du temps de l’économie Keynésienne.  

           Du développement local

   Le développement local a d’abord été une affaire de militants. Ce mouvement a regroupé dans les années 1960 les régionalistes, les autogestionnaires, les jeunes agriculteurs autour d’un célèbre « vivre et travailler au pays », élément fondateur d’un nouveau système économique, alternatif et humaniste. Avec la décentralisation des années 1982, le développement local s’élargit vers la sphère économique et devient l’affaire des élus locaux. La complexité des problèmes à résoudre dans une nouvelle conjoncture de chômage et de difficultés sociales le transforme rapidement : il devient professionnel et exige de nouvelles qualifications pour savoir transformer une société sans croissance en privilégiant une approche territoriale des problèmes de développement. Depuis les années 80, avec la crise économique, il est fondateur et promoteur de l’économie solidaire. Il cherche sa place au sein même de l’économie mondiale, en participant à l’invention d’une nouvelle citoyenneté. Il se redéploye notamment dans le mouvement associatif.
   Héritier de son histoire, le développement local porte toutes ses composantes à la fois. Il est resté militant : on y croit ou pas. Il est professionnel et même enseigné à l’université. Il entend renouveler l’approche du développement en rapprochant des niveaux d’analyses ( le public et le privé, l’urbain et le rural, l’économique et le social , le monétaire et le non monétaire…) et des disciplines trop souvent autonomes les unes par rapport aux autres (l’économie, la sociologie, le droit, l’architecture, l’administration…): Il porte une vision de l’économie solidaire dont l’ambition ne se limite pas aux initiatives locales des associations ou aux implications des élus locaux mais qui reconstruit le développement sur une nouvelle logique : celle des territoires.
   Le développement local est une manière de poser et de savoir répondre aux défis de notre temps: le mal vivre des villes, la précarité,  les incertitudes du monde rural, la périurbanisation, les morceaux d’espace appauvris. Il entend renforcer la cohésion sociale, accompagner la création d’emplois, promouvoir l’exercice de la citoyenneté locale. Davantage qu’un champ disciplinaire, il est pédagogie du quotidien. Il part de la conviction qu’il n’existe pas de territoires sans avenir mais seulement des territoires sans projet. Il est ouvert au monde et se refuse aux localismes. Il considère que les agents de l’économie sont les acteurs de leur devenir. Il se construit sur l’implication des habitants, des travailleurs et des citoyens. Il est mobilisateur de ressources.
   Il implique pour réussir une volonté de changement. Il exige pour être efficace une grande professionnalisation  dans les nouveaux métiers qu’il porte. Il renvoie à un « savoir construire ensemble » où les logiques sectorielles s’effacent devant des mixités inattendues.. L’attention apportée à la solidarité et à l’environnement l’a conduit vers la durabilité. Le développement local est économique, social, citoyen et durable.
   Il n’en demeure pas moins que les grandes tendances socio- économiques de notre société vont plutôt dans le sens de non durable que du durable. Et que le développement local n’est pas dans les priorités du gouvernement. La politique d’aménagement du territoire a été abandonnée, l’économie sociale et solidaire négligée, les élus locaux ignorés et le mouvement associatif en grande difficulté. La crise de la démocratie représentative n’a pas entraîné un renouveau de la démocratie participative.

            Et les terres Occitanes ?

   Les mouvements Occitans sont particulièrement actifs dans les grands débats contemporains : valorisation des énergies renouvelables, mobilisation citoyenne, constructions à haute qualité environnementale, mesures de protection de la biodiversité, adaptation au changement climatique, transition écologique, traitement des déchets, protection de l’environnement, réduction des inégalités sont au cœur de leurs revendications et de leurs engagements.
   Régionalistes, les Occitans militent pour une Europe des régions, une plus large autonomie reconnue aux collectivités territoriales, des services publics de qualité, le maintien des lignes ferroviaires en milieu rural, une économie maîtrisée, le respect de la nature, la solidarité ave le tiers monde. Ces engagements  participent au bien public.
   Ces prises de position des Occitans que nous sommes pour sauver la planète prennent sens au niveau des territoires vécus. On passe alors du développement au développement durable et du développement durable au développement local
   Il se traduit aujourd’hui par la proximité : entre résidence et emploi, entre service publics et commerces privés, entre grands principes et actions concrètes, entre ambitions planétaires et plaisirs minuscules. C’est aussi une approche humaine où le regard, l’empathie, la solidarité, le non marchand jouent tout leur rôle.
   Dans cette mutation du monde, quand nous voyons la fin d’un système sans en percevoir un autre clairement, les valeurs de l’Occitanie nous invitent à d’autres regards.
- Le « prètz » c’est la valeur de la personne, la volonté de permettre à tout un chacun de vivre de son travail, de reconnaitre que tout homme est employable, de refuser la fatalité du chômage, de combattre toutes les formes de pauvreté
- La « convivéncia » renvoie à la tolérance, au vivre ensemble, à la coexistence entre musulmans, juifs, chrétiens dans une paix partagée
- Le « paratge », c’est la noblesse du cœur et de l’esprit, le sens de l’honneur, le respect de soi et des autres, la négation de la loi du plus fort
- La « largueza » est la générosité, le désintérêt personnel, le souci du bien commun
- Le « fin’amor » est issu de l’amour courtois qui élève spirituellement celui qui l’éprouve, de la noblesse du cœur
   Ces mots occitans sont intraduisibles en Français. Leurs significations répondent parfaitement à l’apport contemporain d’une culture historique aux errements du monde.

Philippe LANGEVIN
Président d’Aquò d’Aquí
(22-2-19)

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