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DOSSIER : La réforme territoriale -Philippe LANGEVIN
29 / 03 / 2016 394 lu(s) 
Lo convidat dau CEBIER  

  La réforme territoriale : une ambition inachevée

   La réforme territoriale en cours entend répondre à un constat partagé sur l’émiettement communal, la complexité du mille feuilles administratif et la dichotomie entre territoires de pouvoir et territoires vécus. Les limites des communes et même des intercommunalités, comme celles des départements et de beaucoup de régions ne recouvrent aucune réalité économique, sociale ou environnementale. Elles remontent à la révolution française. Le pouvoir local s’exerce de fait sur des espaces incohérents au sein d’une société de mobilité généralisée dans laquelle les lieux d’habitat, de travail, de consommation, de loisirs sont de plus en plus éloignés les uns des autres. Dans le cadre d’un mouvement long de décentralisation engagé tardivement en 1982, il était nécessaire de revoir l’architecture des collectivités territoriales pour que les politiques locales s’expriment sur des espaces pertinents.
   Cette ambition ne répond pas à une aspiration profonde des élus locaux mais exprime que, dans un contexte national de retrait de l’Etat dans le financement des politiques publiques, les territoires changent de sens. Ce sont de moins en moins les lieux d’application des politiques nationales et de plus en plus les espaces d’invention d’un autre mode de développement. A ce titre, de nombreux travaux sur l’économie circulaire, l’économie sociale et solidaire, le développement local ouvrent des perspectives intéressantes sur la capacité des territoires à construire et conduire des projets adaptés à leurs spécificités comme réponse à une mondialisation incontrôlée de l’économie et encore davantage de la finance.

1-Une réforme nécessaire

   Si les tentatives antérieures de rationalisation de l’action publique territoriale ont généralement échoué c’est que les 36 683 communes, 100 départements et 22 régions sont autant de pouvoirs exercés par le nombre incroyable de 618 384 élus locaux ! Certes ces pouvoirs peuvent être dérisoires pour les 31 500 communes de moins de 2000 habitants. Ils ne le sont pas pour les 11 communes de plus de 200 000 habitants, les départements ou les régions.

   La loi Chevènement relative au renforcement et à la simplification de l’intercommunalité du 12 juillet 1999 a facilité la constitution de communautés de communes d’agglomérations et urbaines et a été un réel succès. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la plupart des communes relèvent d’une des 1903 communautés de communes, d’une des 222 communautés d’agglomération ou d’une des 17 communautés urbaines. Incontestablement les politiques d’aménagement du territoire local, de développement économique, de l’habitat, de transport, d’environnement ne s’expriment plus aujourd’hui au niveau des villages, des cantons ou des quartiers. Par contre, aucun département n’a utilisé cette loi pour fusionner avec un autre.
   Bref, la réforme était nécessaire. Elle fût laborieuse et est encore inachevée. Deux lois ont été votées : celle du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPAM) et celle du 25 novembre 2014 sur le nouveau découpage des régions. Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (projet de loi NOTRE) est en cours d’examen à l’Assemblée Nationale. Mais la deuxième loi remet en cause un grand nombre de dispositions de la première ! La plus importante est certainement, dans un objectif de clarté et de lisibilité, le retour à la suppression de la clause de compétence générale qui permet à une collectivité d’intervenir dans n’importe quel domaine à condition de pouvoir financer la mesure qu’elle a votée. Il faut donc rester très prudent sur une construction qui n’a rien de définitif.

2-Des communes aux métropoles

   La commune n’est pas remise en cause. Elle porte une histoire, des symboles, une proximité qui n’est d’ailleurs effective que dans les plus petites d’entre elles. Il était donc impossible de la rayer d’un trait de plume. Mais il est illusoire aussi de penser que toutes les communes pouvaient conduire des politiques économiques et sociales, offrir le même niveau de service public, construire un milieu de vie, promouvoir une identité propre. La réponse est dans l’intercommunalité. A ce titre, la réforme poursuit celle de Chevènement de 1999 en proposant une taille minimum de 20 000 habitants au lieu des 5 000 actuels, masse estimée nécessaire pour pouvoir construire un projet de développement local digne de ce nom. Mais se pose aussi la question des limites géographiques de ces établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Arrêtées par les élus eux-mêmes, elles traduisent davantage des affinités politiques que des cohérences territoriales. Le cas de la cartographie de la métropole de Nice, seule mise en place dans le cadre de la précédente réforme de 2010, est révélateur à cet égard. Elle n’a aucun sens.

   Le projet de loi ne modifie qu’à la marge les compétences des communes. Elles sont chefs de file dans quatre domaines : mobilité durable, organisation des services publics de proximité, aménagement de l’espace et développement local. Mais ces compétences sont de plus en plus souvent exercées par les EPCI.
   La loi MAPAM innove en créant un statut spécial pour les grande concentrations urbaines de plus de 400 000 habitants, celui de métropole, et en leur accordant d’importantes compétences en matière de développement économique, social et culturel, d’aménagement de l’espace métropolitain, de politique locale de l’habitat, de politique de la ville et de gestion de services d’intérêt collectif. L’idée est de faciliter la construction de métropoles puissantes dotées de pouvoirs étendus, susceptibles de générer une forte capacité de développement et une intense polarisation sur leurs espaces périphériques. Mais si la transformation de 10 communautés urbaines en métropoles (carte ci-dessous) a pu s’opérer sans difficultés, celles de Paris et de Marseille (Aix-Marseille-Provence), à statut dérogatoire, ont généré de redoutables conflits. Nous n’évoquerons pas le cas de Paris, ni de Lyon également spécifique, pour nous concentrer sur celui de Marseille.

   Ici, décidément, tout ne se passe pas comme ailleurs. Car l’attitude des élus locaux en Provence, incapables de s’entendre sur un projet collectif pourtant réclamé depuis plus de 20 ans, a conduit l’Etat à prendre directement les choses en mains et a décidé seul que la métropole Aix-Marseille-Provence serait composée de 6 intercommunalités représentant prés de 2 millions d’habitants sur un vaste territoire de 3 160 Km². Une mission interministérielle dirigée par un préfet et animée par des experts conduit les travaux préparatoires à une fusion des 6 EPCI au 1 janvier 2016. Outre l’opposition résolue de la plupart des maires et des conseillers généraux, surtout par leur crainte de devoir « payer pour Marseille » et de perdre une partie de leurs pouvoirs, le débat s’est concentré sur les conseils de territoire comme facteurs de résistance à une métropole évidente pour la société civile mais refusée par la société politique.
   Pourtant, le territoire métropolitain est bien celui du Grand Port Maritime de Marseille, de l’université unique et de Marseille 2013, capitale européenne de la culture. C’est celui des déplacements quotidiens de deux millions de personnes et de dizaine de milliers d’entreprises auquel il manque 62 000 emplois pour être simplement au niveau des autres métropoles françaises.
   Il aurait sans doute été plus positif sur ce point de définir de nouveaux territoires de vie plutôt que de retenir ceux des 6 EPCI d’aujourd’hui qui ne sont pas plus cohérents que ceux des communes qu’ils regroupent. Leurs conseils de développement et l’INSEE ont fait des propositions intéressantes sur ce point qui n’ont guère de chance d’être retenues.

   Cette métropole est néanmoins nécessaire sur un territoire où chaque commune et chaque EPCI ignorent totalement ce que font les autres et pratiquent la concurrence plutôt que la complémentarité. De ce fait, ce territoire émietté est en grande difficulté économique et sociale. La plupart de ses élus n’ont pas conscience de l’intérêt général et se renferment sur des intérêts locaux contestables. Aucun système cohérent de transport en commun n’existe. Les zones d’activité ne sont pas complémentaires. Les voiries ne sont pas coordonnées. La périurbanisation n’est pas régulée. La ville centre, Marseille, est considérée par toutes les autres comme la source de leurs difficultés. Cette attitude est incompréhensible.

   Les pays ont vécu. Pensés par la loi Voynet d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999 comme des territoires de projet en zones rurales, organisés sur un modèle souple, accompagnés de conseils de développement, les 350 pays ainsi constitués au niveau national et la dizaine au niveau de la région Provence-Alpes Côte d’Azur ont renouvelé l’approche du développement rural. Quinze ans plus tard le souffle est retombé avec la pénurie de ressource et la démobilisation des acteurs. La loi prévoit leur transformation en « pôle d’équilibre territorial et rural » sous la forme juridique, peu répandue en l’espèce, de syndicat mixte. Cette évolution traduit une conception urbaine du développement qui cantonne les territoires ruraux à une économie résidentielle dépendante des métropoles les plus proches. Si la loi Chevènement organisait des territoires sans projets mais avec des moyens, celle de Voynet définissait des territoires avec  projet mais sans moyen.

3-L’avenir incertain des départements

   Le sort des départements semblait arrêté en début d’année. Ils devaient disparaître à l’horizon 2020. La loi MAPAM a d’ailleurs été conçue dans cette perspective en dépouillant les Conseils généraux de la plupart de leurs prérogatives. A titre transitoire, leurs compétences se réduisaient à l’action sociale, à l’autonomie des personnes et à l’aide aux communes (solidarité des territoires) avant d’organiser eux-mêmes le transfert de ces compétences aux régions et aux EPCI. Ils perdaient leurs autres responsabilités : voirie, transport, interventions économiques, collèges, transport scolaire. Mais c’était sans compter sur le poids de l’association des départements de France, vent debout contre une disparition programmée. Il a d’abord été question de maintenir les Conseils généraux ruraux. Puis de transformer les autres en syndicats d’intercommunalités. L’Etat semble revenu sur le transfert des collèges aux régions. Bref, la situation est confuse. Le redécoupage des cantons sur des bases uniquement démographiques n’a pas éclairé le débat. Les nouveaux cantons ne sont pas plus pertinents que les anciens.
   En ce qui concerne les Bouches-du-Rhône, il serait sans doute souhaitable d’élargir le périmètre d’Aix-Marseille-Provence à l’ensemble du département, comme prévu pour la dizaine de départements métropolitains. Il est probable de nouveau que la situation politique du Conseil général des Bouches-du-Rhône ne soit pas étrangère au découpage actuellement retenu.

4-Le sacre de la région

   Les régions sont au centre de la réforme. La loi, après des débats houleux, a d’abord modifié leurs limites, les ramenant de 21 à 13 pour accroître leur efficacité. Si certaines d’entre elles, notamment Provence-Alpes Côte d’Azur, restent dans leur périmètre initial, le regroupement des autres ne s’est pas opéré sur des données culturelles, sociales ou économiques. Il ne semble pas que les multiples cartes construites par feu la DATAR aient été étudiées. Les préoccupations politiques ne sont pas loin. Il est surprenant en effet que la Bretagne et les pays de la Loire n’aient pas été regroupés, difficile à justifier la fusion de l’Alsace avec la Lorraine et Champagne-Ardennes, complexe à gérer l’immense nouvelle région regroupant l’Aquitaine, le Limousin et Poitou-Charente. Il est dommage que l’opportunité de constituer une grande région méditerranéenne regroupant Provence-Côte d’Azur, Languedon-Roussillon et Corse n’ait pas été retenue. La Maison de la Méditerranéen aurait naturellement trouvé une vocation conforme à ses ambitions. De toutes façons la question est dans le pouvoir des régions, pas dans leur périmètre.
   Le projet de loi NOTRE précise et élargit leurs compétences en matière d’aménagement du territoire (les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable deviennent prescriptifs), de développement économique (schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, aides aux entreprises…), de tourisme, d’environnement (plans régionaux de prévention et de gestion des déchets), de transports (schémas régionaux de l’inter-modalité), de voirie (transfert des routes départementales), d’éducation (transferts des collèges). La région est positionnée comme le premier territoire de la décentralisation. La réforme consacre le passage du couple département-commune au couple région-intercommunalité ou plutôt région-métropole. Elle laisse aux régions la responsabilité de s’intéresser aux espaces non métropolitains de leurs territoires et consacre aussi l’abandon d’une politique nationale d’aménagement du territoire.  

5-Regards sur la méthode

   Cette réforme importante et nécessaire pose néanmoins des questions sans réponses.
   Elle est conduite de façon très centralisée sans associer la société civile à sa définition. Or les élus locaux, dont la légitimité n’est pas remise en cause, ne portent pas nécessairement la voix des acteurs du développement ni celle des habitants du territoire. Elle n’organise pas la participation des forces vives à la définition de leur destin. Certes un conseil de développement métropolitain est prévu par la loi. Mais il reste fortement dépendant des élus locaux aussi bien dans sa composition que dans ses missions. Or, à un moment où un nouveau mode de développement est à construire, il ne fait pas de doutes que plus que jamais la mobilisation de la société civile est la condition de l’innovation et du changement. La connaissance augmente quand ou la partage. Les élus ne semblent pas l’avoir perçu. Ils ne s’appuient pas sur les ressources des acteurs du territoire, au-delà des aspects formels qu’ils donnent à la concertation.
   Elle ne prend pas en compte les histoires, les patrimoines, les modes de vie, les langues que l’on dit régionales et se positionne dans une démarche essentiellement technocratique dont le bases sont contestables. Il n’est nullement démontré que la réforme permette d’économiser 15 milliards d’€, que les grandes concentrations urbaines polarisent leur territoire de proximité, que le monde rural soit réduit à accueillir des habitants en quête de vie meilleure ou des touristes en quête de beauté. Les nouveaux zonages sont purement démographiques. Or la capacité à inventer un modèle de développement adapté aux ressources des territoires ne dépend pas du poids de leur population. C’est le produit de leur histoire.
   La réforme va rapidement déboucher sur des conflits prévisibles entre régions et métropoles dont, bien souvent, les compétences sont les mêmes. La loi précise que les grands schémas régionaux sont applicables aux métropoles, parle de délibérations concordantes, évoque une nécessaire coordination, organise des systèmes de concertation, fait appel à la raison. Mais elle ne peut garantir d’inévitables conflits en cas de désaccords politiques entre autorités également légitimes.

En guise de conclusion

   Pour conclure cette rapide présentation, rappelons que nous sommes à la fin d’un cycle et que le futur ne sera pas dans le retour à l’économie keynésienne ou dans celui de l’économie libérale. A l’échec des politiques de droite répond celui des politiques de gauche. La croissance ne reviendra pas. Le monde a basculé vers l’Asie où s’expriment les nouveaux maîtres du monde. Nous devons inventer autre chose que l’appel à un Etat trop endetté pour intervenir efficacement ou la confiance aux marchés pour réguler notre économie. Nous devons inventer de nouvelles façons de produire, de consommer, de vivre. Nous avons un devoir de solidarité pour les ménages et les territoires exclus de la dignité.
   L’approche territoriale peut apporter sa contribution à ce formidable défi. La réforme en cours va dans ce sens. Elle ne doit pas exonérer tous les acteurs du développement local d’une indispensable mobilisation au service du bien public.

Philippe Langevin - 21 février 2015.
Président du Conseil Départemental de Concertation
Hôtel-du-département- MARSEILLE
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