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PRISONS : ETAT D'ALERTE - Gilbert Brawanski
03 / 03 / 2018 398 lu(s) 

PRISONS : ETAT D’ALERTE

   Surveillants agressés, plus de 140 établissements pénitentiaires bloqués par les personnels exaspérés, Ministre de la Justice chahutée, la situation dans les prisons est explosive.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le sujet. Il nous a paru intéressant de faire une approche non exhaustive de ces problèmes vus à travers la situation des prisons dans l’est occitan, à savoir la Provence et les départements de l’Ardèche, de la Drôme et du Gard.

L’administration pénitentiaire : Etat des lieux

Elle se compose d’une administration centrale, de 9 directions interrégionales + 1 d’outre-mer et de 103 Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP).  
Elle compte au 1er décembre 2017 39 414 agents dont 27 849 surveillants et 5 095 personnels des SPIP. 249 942 personnes sont prises en charge par l’administration pénitentiaire dont 78 796 sous écrou et 164 146 suivies en milieu ouvert.
   Le budget annuel (hors pensions) se monte à 2.79 milliards d’€.

Il existe 3 catégories d’établissements pénitentiaires :
- Les 82 maisons d’arrêt (MA) : elles reçoivent les prévenus en attente de leur jugement définitif, les condamnés à des peines inférieures à 2 ans ou les condamnés en attente d’affectation vers les établissements pour peine.
- Les 97 établissements pour peine regroupent :
- Les centres de détention (CD) qui reçoivent les condamnés à plus de 2 ans considérés comme ayant les meilleures perspectives de réinsertion,
- Les maisons centrales (MC) prennent en charge les détenus condamnés à plus de 2 ans considérés comme les plus difficiles,
- les centres de semi-liberté (CSL) accueillent des condamnés bénéficiant de ce régime  ou de placement à l’extérieur,
- les 6 établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) reçoivent les jeunes de 13 à 18 ans avec le concours de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
- 1 établissement public de santé à Fresnes.
NB : Un centre pénitentiaire (CP) est un établissement qui comprend au moins 2 quartiers à régimes de détention différents. Ainsi le CP d’Avignon le Pontet mis en service en 2003 comprend 1 MA hommes, 1 CD, 1 quartier mineurs et 1 quartier semi-liberté. Le CP de Marseille-les Baumettes est à la fois 1 CSL, 1 MA, 1 UHSI (Unité hospitalière sécurisée inter-régionale) située à l’hôpital nord et 1 bâtiment destiné aux femmes (majeures et mineures).

(Répartition des détenus par établissement pénitentiaire dans l’Occitanie orientale : (voir tableau non ici reproduit sur la revue).


Quels sont les principaux problèmes qui expliquent cette colère ?

La surpopulation carcérale et ses conséquences

   Celles et ceux qui prétendent que les prisons sont des clubs de vacances animés par de  "gentils organisateurs" doivent revoir leurs analyses. La surpopulation est une des principales plaies de nos Maisons d’Arrêt. Les MA d’Aix-Luynes, d’Avignon-Le Pontet, Nice, Toulon-la Farlède ont des densités d’occupation supérieures à 155 %. Le pompon revient à la MA de Nîmes où 440 personnes sont logées sur 200 places prévues. Promiscuité (1.33 m2/personne dans certaines cellules), des conflits permanents, des détenus condamnés à de courtes peines cohabitant avec des prévenus qui risquent de 15 ou 20 ans de prison. D'après l'Observatoire international des prisons (OIP), environ 1 500 personnes dorment chaque nuit sur des matelas posés au sol.
   La MA des Baumettes, en cours de rénovation, avait été qualifiée "d’endroit répugnant" par le Conseil de l’Europe et condamnée par la justice française ; celles de Nice et de Nîmes font l’objet d’un recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme pour conditions indignes de détention.

Un monde de violences

   Pour Didier Fassin, sociologue spécialiste des prisons contacté par Franceinfo, "le niveau de surpopulation carcérale, ingérable pour les surveillants et insupportable pour les prisonniers, a aggravé les agressions contre le personnel et aussi contre les détenus dont on parle très peu".
Depuis 2011, on compte en moyenne dans les prisons de France plus de 4 100 agressions physiques par an. Celles-ci sont souvent le fait de détenus souffrant de troubles psychiatriques ou suivis pour des cas de radicalisation. Les détenus poursuivis pour des faits de terrorisme les plus dangereux sont placés à l’isolement dans des quartiers spéciaux en Ile-de-France pour éviter les risques de  prosélytisme. Les autres sont dispersés dans les autres prisons. Selon un journaliste du Dauphiné, il y aurait de 30 à 50 détenus radicalisés à Valence.
Sur Franceinfo, Emmanuel Baudin, secrétaire de FO, relativise l'importance des radicalisés "qui ne composent pas l'essentiel des prisons". Il affirme que la majorité des détenus ne pose pas de souci mais qu’on a des gens qui n’ont jamais été insérés dans la société et qui sont en rébellion. "Se faire agresser et cracher dessus, elle est là notre réalité" déclare un surveillant de Valence.  
   En 2015, une étude menée sur 43 000 personnels ayant travaillé dans l’administration pénitentiaire par l’Institut de Veille Sanitaire révélait "un excès de suicides statistiquement significatif de 21% chez les hommes".

Réformer le système carcéral, une priorité qui passe par :

- La rénovation des prisons : Le candidat Macron avait promis 15 000 places de prison. Finalement, leur construction sera étalée sur les deux quinquennats à venir. L’accord signé le 26 janvier 2018 entre le gouvernement et l’UFAP-UNSA- Justice prévoit entre autres 1 500 places "étanches" pour les radicalisés les plus dangereux, 1 100 emplois supplémentaires d’ici 2021 et  une augmentation des primes.
Cependant la modernisation des prisons, indispensable, ne produira pas ses effets tout de suite ; de plus, elle ne résoudra pas tous les problèmes. Faute de personnel, des parloirs ou des unités de vie familiales construites depuis bientôt 2 ans ne sont pas utilisées.
La nouvelle MA de Valence achevée fin 2015 a subi 2 mutineries en 2016.

- Une revalorisation et une sécurisation du métier de gardien : Les conditions de travail sont telles que 188 des 230 surveillants que compte cet établissement ont déposé une demande de mutation. Une infirmière psychiatrique déclare que "si la MA de Privas est plus humaine de par sa taille, on s’y suicide comme ailleurs".  
Le métier n’est pas très attractif : 1 500 surveillants doivent être recrutés en 2018 mais 70% des personnes qui devaient passer le concours en janvier ne se sont pas déplacées.

"Et si la prison telle qu’elle est n’était pas la solution mais le problème" ?

- "La prison, c’est l’école du crime. Tu rentres avec un CAP escroquerie et tu sors avec un BTS trafic de stups" dit une ancienne détenue sur France Inter. Et pour quel bilan ?
Le taux de récidive de ceux qui ont purgé leurs peines en prison est de 61%. Certains n’hésitent pas à poser la question : faut-continuer de remplir les prisons ou essayer de les vider ?
Selon l’Observatoire international des prisons, "près de 17 000 détenus en France présentent des troubles et maladies psychiatriques". Leur place ne serait-elle pas plutôt en hôpital psychiatrique ?

- Lors d’une visite des prisons par des parlementaires en novembre 2017, un détenu a dit : "Pourquoi ne développez-vous pas plus des travaux d’intérêt général ? Cela aurait été plus bénéfique pour moi."
Ces peines alternatives à l’incarcération (amendes, sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général, bracelets électroniques, semi-liberté, …) auxquelles les instances européennes préconisent de recourir plus largement, représentent déjà la grande majorité des peines prononcées par les juridictions pénales. Le taux de récidive n’est que de 34% pour ceux qui ont des peines de probations alternatives à l’enfermement. Autre avantage, la construction d’une place en établissement ouvert prend beaucoup moins de temps, elle coûte trois fois moins cher qu’un centre de détention ordinaire et deux fois moins en coût de fonctionnement  
   Les personnels de SPIP s’efforcent "de réparer les hommes et la société" en leur donnant les outils pour leur permettre de réintégrer celle-ci dans les meilleures conditions mais ce n’est pas toujours facile. Là-aussi, leur nombre insuffisant ne permet pas toujours une prise en charge de qualité et un suivi efficace pour contrôler le respect des obligations des condamnés.
   D’autres sont plus critiques sur les peines alternatives. Ils pensent que ces sanctions n’ont servi à rien car ceux qui les ont subies n’ont pas le sentiment d’avoir été condamnées. Ils souhaitent faire des peines alternatives à la prison de véritables sanctions présentées comme telles à la société et vécues comme telles par les condamnés.
   Yaël Braun Pivet (LREM), présidente de la commission des lois à l’Assemblée déclare au Monde que la "surpopulation carcérale est néfaste pour l’ensemble de la société" et dénonce "un manque de vision comme si l’on se contentait d’écoper un bateau qui prend l’eau dans la tempête".
   Aujourd’hui, il y a bien deux options contradictoires : mettre un capitaine de vaisseau autoritaire qui montre la voie ou apprendre aux exclus de la société à mener leur barque pour avoir une chance de retrouver la terre ferme.
                                                                                         Gilbert BRAWANSKI

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Sources :
- Ministère de la Justice - Direction de l'Administration Pénitentiaire
- L’Observatoire International des prisons
- Articles de journaux (Le Monde, Dauphiné, …)
- France Inter : émissions (La prison sans les barreaux)
- France Info : émissions
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